Trois éléments matériels ont permis la condamnation de Guillaume Seznec pour crime, dans l'ordre : la machine à écrire - les promesses de vente de Traou-nez - la valise de Quéméneur.
Sans ces éléments, pas de crime, une disparition, c'est tout !
Généralement, on traite ces éléments séparément. Or, il sont indissociables. Qu'un seul manque et c'est la culpabilité de Seznec qui est remise en cause.
Pas de machine à écrire : on peut soupçonner Seznec d'être l'auteur des fausses promesses de vente mais difficile de le prouver.
Pas de promesses de vente : plus de mobile pour un crime qui reste à prouver.
Pas de valise : aucune preuve qu'un crime ait été commis.
Ces éléments matériels, leurs découvertes, les témoignages recueillis et retenus, font de Seznec le coupable incontestable. Tout est logique, vraisemblable (enfin presque) et il n'est pas impossible que les choses se soient bien passées comme cela.
Je viens de relire l'ouvrage de Guy Penaud. Il rapporte scrupuleusement les faits et il les analyse. Sa conclusion est sans appel: seul Seznec a pu commettre le crime, car pour lui, Quéméneur a bien été assassiné ("Le cadavre de Pierre Quéméneur n'ayant jamais été retrouvé et aucun témoin (s'il y en a eu) ayant assisté à sa mort ne s'étant manifesté, il semble par contre aujourd'hui impossible d'établir dans quel lieu, dans quelles circonstances et à quel moment précis le conseiller général breton a été tué. De ce seul point de vue, l'énigme Seznec reste et demeurera pour toujours entière.").
Cette première assertion est contestable. Le meurtre de Quéméneur n'a été envisagé que parce que l'on a attribué à Seznec l'achat de la machine, la confection des fausses promesses et le dépôt de la valise au Havre. Si c'est bien lui qui a réalisé tout cela, on peut effectivement supposer qu'il a aussi assassiné Quéméneur et fait disparaître le corps. Mais on peut aussi penser qu'il a été victime d'une machination.
Guy Penaud envisage cette possibilité : " Dans cette affaire, qui a soulevé tant de passion depuis quatre-vingts années, plusieurs hypothèses ont été soutenues ou avancées par ceux qui pensaient que Guillaume Seznec était un coupable machiavélique, ou ceux qui soutenaient qu'il n'était qu'une innocente victime d'un complot familial ou policier."
En fait, s'il aborde cette question, c'est pour mieux démontrer que Seznec ne peut être qu'un coupable machiavélique. Toute son argumentation repose sur la conviction que les promesses de vente, datées du 22 mai, ont été réalisées avec une machine achetée le 13 juin : " - une promesse de vente a bien été établie et signée à Brest le 22 mai 1923 par Quéméneur et Seznec, chacun en gardant un exemplaire (tapée sur du papier vendu près du domicile de Seznec, à Morlaix, avec une machine à écrire achetée le 13 juin 1923, au Havre) ".
Présentée de cette façon, surtout si l'on admet que c'est bien Seznec qui achète la machine le 13 juin, la culpabilité de celui-ci ne fait aucun doute. C'est très certainement avec la Royal 10 n° 434080, retrouvée chez Seznec que les promesses ont été tapées. Mais est-ce bien cette machine qui a été vendue le 13 juin et était-ce bien à Seznec ?
Cette machine serait restée du 13 avril au 13 juin dans le magasin Chénouard. Cependant, les explications, tant celles de Joseph Chénouard que celles d'Edouard Luria, directeur de la Guaranty Trust, paraissent quelque peu "emberlificotées". Guy Penaud, lui-même, mentionne que M. Luria précisa simplement : “ Nous n'avons pas relevé le numéro des machines que nous avons vendues à M. Chenouard le 13 avril 1923. ”
Les dépositions de Chénouard seraient-elles "paroles d'évangile" alors que les témoignages, en faveur de Seznec, émanant de personnes de valeur morale incontestée, tels Henri Danguy des Déserts ou Alfred Lajat, n'ont pas été retenus ?
Dans cette affaire, on a, soit, d'un côté, un homme seul, ou presque, qui aurait commis, maladroitement, un crime et une tentative d'escroquerie, ou soit, de l'autre, un clan, une communauté qui avait intérêt, en se partageant les rôles, à ce que Seznec soit condamné. Je pense que dans cette affaire il y a deux phases. La première, c'est l'appropriation des dollars-or de Seznec par Quéméneur. La seconde, la récupération des biens de Quéméneur par le clan familial. Ces deux phases étant liées, je pencherais vers la thèse de Frédéric Pottecher qui est celle de l'émigration de Quéméneur.
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