Coupable ou innocent à tout prix Affaire Tangorre

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Note: dans le texte qui suit, l'auteur substitue volontairement les noms des américaines

    Jessica est née à Kansas City le 27 juin 1967. Son beau- père est un homme d'affaires qui joue un rôle important au parti démocrate. Elle se trouve à Paris depuis le 1 septembre 1987 et suit, au collège Alma, des cours de perfectionnement en français. Alma est un établissement américain dont l'antenne parisienne est installée au siège de l'Alliance française, boulevard Raspail.

    Alliance FrançaiseEn janvier 1988, elle s'est liée d'amitié avec Marilyn qui arrivait des Etats-Unis pour suivre le même enseignement. Jessica habite à Versailles chez une vieille dame seule. Marilyn, pour sa part, loge rue d'Assas, dans une pension pour étudiants. Que s'est-il passé tout d'un coup dans leur tête — ou dans leur vie — pour qu'elles décident brusquement, et sans en avertir personne, de partir en auto-stop à Cannes afin d'aller voir la mer!

    Des amis, rencontrés au tournoi de tennis de Roland-Garros, revenaient de la Côte d'Azur. Le récit enthousiaste qu'ils ont fait de leur voyage a donné aux jeunes filles l'envie de partir là-bas. Jessica connaît la région. Elle a séjourné dans une famille qui possède une maison à La Ciotat, mais elle n'a pas voyagé au-delà. La décision est vite prise. Il faisait si chaud à Paris, explique Jessica, qu'elle n'a pas pensé à avertir sa logeuse à qui, pourtant, elle ne cachait rien. Curieux départ qui a l'air d'une fugue. N'est-il pas également singulier que les deux filles partent ainsi à l'aventure, sans avoir préparé ce voyage, alors qu'elles ont, deux jours plus tard, des examens de contrôle au collège?

    Par ailleurs, la suite de leur périple est rocambolesque. Elles quittent Paris vers 18 heures et se rendent à la Porte d'Orléans pour faire de l'auto-stop. Vers 19 h 30, un autocar s'arrête. C'est rare, un autocar qui s'arrête pour prendre à son bord des auto-stoppeuses. Celui-ci, de surcroît, transporte des marins américains qui, après une virée dans la capitale, rejoignent leur bateau, L'Hermitage, amarré au Vieux-Port de Marseille. Le hasard tient parfois d'étonnantes coïncidences en réserve. De ce voyage nocturne les deux jeunes filles n'ont pas retenu grand-chose. L'autocar a emprunté l'autoroute. Il s'est arrêté au milieu de la nuit à un relais où elles ont pris, en compagnie des marins, une collation dans une cafétéria. Puis, de nouveau, la route jusqu'à Marseille où l'autocar arrive le lundi matin à 6 h 30. Les marins regagnent leur bateau. Le chauffeur prépare aux deux passagères un café avec le percolateur du bord, puis les conduit jusqu'à l'entrée de l'autoroute du Sud en direction de Toulon. Il fait beau, l'air est d'une extrême douceur, léger, parfumé.

    Elles sont heureuses. Plus encore peut-être à cause de cette escapade qui ajoute à leur sentiment de liberté.

    Deux belles filles qui font de l'auto-stop ne restent pas longtemps sur le bord d'une autoroute. Un taxi s'arrête. Oui, un taxi ! Un taxi qui prend en charge des auto-stoppeuses — même jolies — c'est, comme pour l'autocar, un événement assez rare... Celui-là, justement, rentre à Toulon, son port d'attache. Il va les conduire jusque-là. Pourquoi, alors, Jessica note-t-elle la plaque minéralogique : 424 B? Ressent-elle une inquiétude qui la pousse à se donner un moyen d'identifier le véhicule ? A-t-elle tout simplement l'habitude d'agir ainsi?

    Avant d'arriver à Toulon, le taxi sort de l'autoroute pour laisser les deux Américaines sur une plage de galets. Bandol, Sanary? Elles ne savent pas. Elles se baignent puis s'allongent au soleil.

    — Nous sommes reparties vers 10 heures, dit Jessica.

    — Nous sommes restées là jusqu'à midi, corrige Marilyn.

    10 heures? Midi? Qui a raison? Marilyn, sans doute, car elle semble avoir un souvenir plus précis de leur emploi du temps à ce moment-là.

    Alors que Jessica raconte succinctement qu'en quittant la plage elles ont de nouveau fait du stop, qu'elles sont arrivées à La Seyne, qu'elles sont allées sur une autre plage d'où elles sont reparties vers 17 heures ou 18 heures, Marilyn, elle, se rappelle un déjeuner à La Seyne après lequel, et toujours en stop, elles ont rejoint une plage qui, croit-elle, s'appelle les Sablettes, à vingt minutes de voiture environ, et qu'il était alors 14 heures.

    — Nous sommes reparties vers 17 h 30 après avoir discuté avec des hommes sur la plage, ajoute-t-elle. Nous sommes retournées à Marseille, en stop encore, car on nous avait dit qu'il nous serait plus facile d'y trouver une voiture pour rentrer à Paris.

Les Sablettes    Qu'ont-elles fait pendant les trois heures et demie qu'elles ont passées aux Sablettes? Sont-elles restées sur la plage? Ont-elles visité cette petite station balnéaire située sur un isthme qui, d'un côté, donne sur la rade de Toulon et, de l'autre, sur le grand large, face à l'Afrique?

    Reconstruite par Pouillon après la guerre, la station des Sablettes a un casino et plusieurs dancings qui, bien sûr, étaient ouverts en ce lundi de Pentecôte.

    L'enquête ne cherchera pas à en savoir plus. Elle n'identifiera pas non plus les cinq personnes qui conduisaient les véhicules qui ont pris les deux jeunes filles en auto-stop, pas plus que le chauffeur de l'autocar transportant les marins américains de Paris à Marseille.

    D'entrée de jeu, la version des viols dans la pommeraie de Nîmes est considérée par les enquêteurs comme la seule version possible des faits. Pourquoi aller chercher plus loin? Il est vrai que la précision du récit de l'agression que font Jessica et Marilyn donne à penser que cette hypothèse ne peut être que la vérité. II aurait été plus sage, néanmoins, d'éclaircir les conditions dans lesquelles s'étaient effectuées les différentes étapes de leur voyage. D'autant que les examens de laboratoire sur des prélèvements effectués quatre ou cinq heures après les viols donnent des résultats qui ne semblent pas concorder avec les faits. Sur l'une comme sur l'autre des victimes, les analyses ont fait apparaître «des corpuscules ovoïdes, sans flagelles, pouvant correspondre à des spermatozoïdes fortement altérés» ou encore «des spermatozoïdes en assez faible proportion dont la plupart ne comportent pas de flagelles».

Roger Colombani - Les ombres d'un dossier



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