C'est Maître Paul Lombard
qui révéla, après le dépôt
de la première requête en révision,
la probable visite de Christian Ranucci à son
père, le jour de l'enlèvement de Maria-Dolorès.
L'avocat marseillais avait en effet
reçu une lettre de la tante de Christian Ranucci
qui précisait:
" ... Après l'exécution de Christian, à une période
où mon père Léopold vivait à Allauch, il m'a dit
un jour que mon neveu avait été vu le jour de l'enlèvement
en train de sonner à l'entrée de la villa de son père à Allauch.
La seconde épouse, Antoinette, a interrogé Christian sur son identité.
Il a répondu qu'il venait voir son père. Antoinette a répondu
qu'il n'était pas là et Christian est donc reparti. Mon père
ne s'est jamais expliqué sur le point de savoir de qui il tenait ce récit.
Mais il a fait allusion à ces évènements une bonne dizaine
de fois devant son ami Marcel Joseph et Mme Milazzo, patronne de l'hôtel."
Lors de la seconde requête
en révision, le commissaire divisionnaire
Le Bruchec chercha à en savoir plus et mena, à cette
fin, plusieurs auditions qui apportèrent les
précisions suivantes:
- Mr Joseph et Mme Milazzo ont confirmé la véracité des
propos de Leopold Ranucci.
- Trois autres personnes, voisins ou amis, ont également affirmé avoir
entendu parler de cette visite par une voisine de Jean Ranucci, qui a toutefois
nié être à l'origine de ces confidences.
- Il a été vérifié que le père de Ranucci
ne travaillait pas ce lundi 3 juin 1974 et qu'il se trouvait très probablement
chez lui.
Entendu à son tour par le
commissaire, Jean Ranucci, ainsi que son épouse,
nia l'existence de cette visite mais précisa
toutefois qu'il avait un jour chargé un avocat
marseillais de faire des recherches pour retrouver
la trace de son fils.
Ce dernier point est intéressant
car il vient contredire les propos tenus par Jean
Ranucci au commissaire Alessandra lors de son audition
du 17 juin 1974: "Je vous signale tout de suite
que depuis mon divorce... je n'ai plus revu mon fils
ni sa mère. De ce fait, j'ignore tout de mon
fils Christian... Je ne me souviens même plus
de son visage...Je n'ai jamais tenté de le
retrouver".
Le commissaire Le Bruchec conclut
en considérant la visite de Christian Ranucci à son
père comme très probable. Elle ne constituait
pas un alibi pour Christian Ranucci vu la proximité d'Allauch
et de Marseille mais aurait pu cependant en constituer
un en fonction de l'heure de la visite, restée
malheureusement incertaine.
Pourquoi Jean Ranucci, à défaut
d'avoir accepté de recevoir son fils, a-t-il
nié sa présence devant sa villa le
3 juin 1974?
Il avait été condamné à trois reprises, dont l'une
pour avoir porté des coups de couteau à la mère de Christian.
Son passé judiciaire l'a peut-être incité à nier
tout contact avec son fils par crainte d'une accusation pour complicité éventuelle
ou, à tout le moins, par souci d'éviter que la police ne s'intéressât
de nouveau à lui.
Pourquoi Christian Ranucci n'a-t-il
jamais évoqué cette visite?
On sait que la séparation de ses parents avait été douloureuse
et brutale. Mme Mathon craignait par dessus tout que son ex-mari enlevât
son fils s'il les retrouvait. C'est pourquoi leur vie fut marquée par
des déménagements incessants. Christian aurait donc choisi de
cacher cette visite par amour et égard pour sa mère.
Cette hypothèse est peu probable car, à un moment ou un autre,
Christian aurait inévitablement évoqué, même indirectement,
la visite à son père dans sa correspondance avec sa mère.
Or le silence sur ce point fut total.
Mme Mathon fut, en tout cas, la seule à avoir évoqué la
possible visite de son fils à son père puisqu'elle déclarait
le 13 juin 1974, au cours de l'instruction: "Il se pourrait que mon fils
ait profité de ce voyage pour aller rendre visite à son père à Allauch".
Elle savait donc que Christian s'intéressait à son père.
Serait-ce le pressentiment de cette visite qui motiva en partie son refus d'accompagner
son fils le dimanche 2 juin?
Une autre explication au silence
de Christian Ranucci serait l'amnésie dont
il a toujours dit avoir été victime.
Cette même amnésie qui lui fit oublier
l'existence de Daniel Moussy et qui expliquerait
que, dans les lettres à sa mère et
dans son récapitulatif, aucun de ces deux
incidents ne fut abordé.
On ne comprendrait pas d'autre part
pourquoi, lors de sa garde à vue et de ses
interrogatoires serrés, Christian Ranucci
aurait sciemment tu sa visite d'Allauch s'il n'avait
pas eu cette amnésie car elle pouvait compromettre
l'emploi du temps qu'on voulait lui attribuer et
par conséquent remettre en doute le bien-fondé de
ses aveux.
Et de s'interroger, une nouvelle
fois, sur l'absence de curiosité des enquêteurs
et du magistrat instructeur dans la vérification
de l'emploi du temps de l'inculpé et de certains
témoignages. |