Les aveux
Dernière mise à jour: 21 septembre 2011

 

 


Lors de sa seconde audition officielle, Christian Ranucci "libéra sa conscience", le 6 juin 1974 à 14 heures, à l'issue d'une confrontation décisive avec les époux Aubert.

L'inspecteur divisionnaire Jules Porte enregistra ses aveux dans un procès-verbal ainsi rédigé:



Poursuivant l'exécution de la commission rogatoire sus-visée, en date du 4 juin 1974, de Mlle Di Marino juge d'instruction au T.G.I de Marseille, et relative à une affaire d'enlèvement d'enfant de 15 ans suivie contre inconnu.

Extrayons de la garde à vue le nommé Ranucci Christian, né le 6 avril 1954 à Avignon (Vaucluse), représentant, de nationalité française, demeurant à Nice - 06 - 61 Corniche Fleurie,

Lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, a déposé comme suit:

"Je préfère libérer ma conscience et vous dire tout ce que je sais sur cette affaire. C'est bien moi effectivement qui ai invité la jeune fille à venir avec moi dans ma voiture. Par la suite, je vais vous expliquer que je ne comptais pas lui faire de mal, et pourtant j'ai perdu la tête.

Arrivé à ce stade de sa déposition, notifions à l'intéressé les termes de l'art. 105 du CPP selon lesquels il pourrait ne faire aucune déclaration et demander à être conduit devant Mlle le juge mandant. Il déclare: "Je reconnais que vous m'avez notifié cet article du CPP selon lequel je pourrais me taire et demander à être conduit devant Mlle le juge d'instruction. Je préfère libérer ma conscience et vous dire tout ce qui s'est passé. En effet je ne suis pas "un salaud" et je réalise à peine comment j'ai pu agir de la manière qui est la suivante.

J'ai passé la nuit du dimanche à lundi dans mon véhicule. J'avais garé la voiture dans un chemin de campagne situé non loin de Salernes dans le Var. Je me suis réveillé assez tard; je me suis mis au volant de ma voiture et j'ai pris la direction d'Aix-en-Provence par de petites routes.

Je ne peux vous donner de précisions sur les horaires car ma montre est en réparation et celle du tableau de bord de ma voiture ne fonctionne plus.



On sait aujourd'hui que Christian Ranucci était déjà à Marseille le dimanche soir vers 20 heures 30. Un automobiliste, Mr Daniel Moussy, qui suivait la Peugeot 304 dans les quartiers nord de la ville, confirma ce point. Les détails de ce témoignage sont résumés sur cette page.

On sait également que, dans la matinée du 3 juin, Christian Ranucci s'est vraissemblablement rendu à Allauch pour y rencontrer son père. Les détails de cette visite figurent sur cette page.

Pourquoi Christian Ranucci a-t-il occulté ces deux éléments essentiels? A la suite de l'amnésie dont il affirma toujours avoir été victime? Avait-il, à cet instant précis de sa garde à vue, encore assez de lucidité pour se rendre compte de ses propos ou ne faisait-il qu'aller là où les policiers voulaient l'emmener?





Procès-verbal:

Je suis arrivé à Marseille et j'ai pensé retrouver un camarade de l'armée qui se nomme Benvenutti et qui demeure avenue Alphonse-Daudet, n°51. Sans trop connaître Marseille, j'ai donc garé mon véhicule et je pensais aller me promener à pied. A un moment, j'ai remarqué deux enfants jeunes qui jouaient devant une cité. Je ne me souviens pas exactement de l'endroit. Je peux cependant vous dire que cette rue était assez étroite et qu'elle n'était pas bordée d'arbres. Après avoir regardé ces enfants pendant quelques minutes, je les ai abordés. J'avais garé mon véhicule à dix mètres de l'endroit où jouaient les enfants. Il y avait un petit garçon auquel j'ai donné cinq ou six ans, qui avait les cheveux courts. Il y avait également une petite fille qui semblait un peu plus âgée, peut-être sept ou huit ans. Elle était vêtue de clair, un pull-over et un pantalon court.

Je me suis approché de ces enfants et je leur ai demandé s'ils avaient vu une bête. Je ne me souviens pas très bien des termes que j'ai employés et je pense qu'il s'agissait de chien ou de chat. Le petit garçon est parti de son côté pour rechercher la bête. Je suis resté sur les lieux en compagnie de la fille.

Les souvenirs me reviennent et je suis en mesure de vous dessiner le plan des lieux. Je m'exécute.

Comme vous pouvez le constater sur ce plan que je viens de vous dessiner de ma main, les enfants jouaient sur un trottoir qui longeait une rue en pente. J'avais garé ma voiture en bas de cette pente, devant un immeuble situé à gauche, en bas de la rue. Les enfants étaient sur le trottoir en face de l'immeuble. A cet endroit, la rue forme un léger virage. Le petit garçon est parti en direction du haut de la rue pour rechercher un animal. J'ai alors discuté quelques instants avec la petite fille et elle est montée sans difficultés dans la voiture.

Je vous précise que lorsque le petit garçon est parti rechercher l'animal, nous nous trouvions tous les trois à hauteur de ma voiture et sur le même trottoir. Quand nous fûmes seuls, la petite et moi, je lui ai proposé de monter en voiture pour aller nous promener. J'ai "formulé" cette offre à deux reprises car, la première fois, elle a hésité. Finalement, elle a accepté. Je suis monté le premier dans la voiture, je lui ai rabattu le siège avant et la petite a pris place à l'arrière. Je précise que la porte côté conducteur de ma voiture est bloquée, ce qui m'a obligé à monter moi-même par le côté passager. Je me trompe, la porte n'était pas bloquée à ce moment-là, je suis monté par le côté gauche. C'est seulement après l'accident que la portière gauche a été bloquée.



Ranucci justifie sa présence à Marseille par sa visite à un copain de régiment. Ce dernier fut interrogé par les enquêteurs. Nous vous proposons le contenu de sa déposition sur cette page.

le scénario avancé est surréaliste et bien peu crédible.

Ainsi, si Christian Ranucci a bien enlevé Maria-Dolorès c'est parce qu'il serait arrivé à la cité Sainte-Agnès par erreur, à un kilomètre environ de l'endroit où il voulait aller. Ayant alors décidé de se promener à pied (il n'a pas encore aperçu les enfants à cet instant), il gare sa voiture, non pas comme tout le monde le long de la rue, mais à la perpendiculaire de celle-ci, en marche arrière et de surcroît devant l'entrée d'un garage dont il bloque l'accès.

Le plan des lieux de l'enlèvement, dessiné par Christian Ranucci, a fait l'objet d'une polémique résumée ici.





Procès-verbal:

J'avais garé mon véhicule l'arrière face à l'immeuble. Je suis parti devant moi et je me suis éloigné du centre ville. Après avoir traversé la banlieue, j'ai emprunté une petite route en virages, elle montait. Après avoir roulé une dizaine de kilomètres au plus sur cette route, j'ai arrêté la voiture sur un espace situé à droite de la route. L'endroit ne m'a pas paru très vaste. Je me souviens également avoir traversé une petite agglomération. Quand nous nous sommes arrêtés, la petite est descendue de la voiture et s'est assise au bord de la route. J'ai allumé une cigarette et nous avons parlé. Pendant le voyage, nous avons parlé; je lui ai posé diverses questions sur ses conditions de vie. Quand elle a vu que nous nous éloignions de la maison, la petite a dit: "qu'il était l'heure du repas". Je l'ai rassurée en lui disant que j'allais la ramener chez elle. Nous ne nous sommes arrêtés que quelques minutes à l'endroit indiqué. Quand nous sommes repartis, la petite est montée à l'avant. C'est elle-même qui l'avait demandé. A partir de ce moment, nous avons dû rouler encore une dizaine de kilomètres.

A un moment, je suis arrivé à un "stop" et la route débouchait sur une autre, plus importante. C'est à cet endroit qu'a eu lieu l'accident. J'ai démarré en seconde vitesse sans voir arriver un véhicule sur ma gauche. J'ai été atteint à la portière gauche, j'ai senti que mon véhicule était déporté. Je ne sais pas trop bien dans quelle direction je suis reparti. J'ai senti une forte odeur de brûlé et j'ai compris que je ne pourrais rouler très longtemps dans ces conditions; le pneu qui frottait contre l'aile faisait "un bruit d'enfer".

J'étais affolé et je ne me rendais pas compte que quelqu'un me suivait. Je me suis enfui pour deux raisons: d'abord parce que l'on pouvait penser que j'avais brûlé le "stop" et ensuite à cause de la présence de la petite fille dans ma voiture. J'ai roulé quelques centaines de mètres environ, puis je me suis arrêté. J'ai garé la voiture sur le bord de la route. Ma portière s'étant bloquée à la suite de l'accident, j'ai ouvert la portière côté passager. J'ai laissé descendre le petite fille et je l'ai suivie. Je ne me souviens pas que la petite ait eu peur des suites de l'accident et elle n'a pas manifesté le désir de retourner chez elle.

La petite fille a sauté un caniveau; j'ai également sauté ce caniveau; j'ai pris la main de la petite fille et nous avons parcouru ensemble une courte distance et nous nous sommes retrouvés en haut du talus. Je vous précise que j'ai dû aider la petite à grimper le talus. J'ai dû la tirer par la main."

- Pourquoi l'avoir tirée par la main?
Pour l'aider à monter le talus. La petite n'a pas manifesté de signes d'inquiétude, je l'affirme. Arrivés sur le talus, l'enfant s'est mise à crier, elle ne voulait plus me suivre, elle devait être effrayée suite à l'accident.



A en croire les déclarations de Christian Ranucci, Maria-Dolorès n'aurait réagi à l'accident qu'arrivée en haut du talus. La fillette, âgée de 8 ans, qui n'avait pas l'habitude de la voiture puisque ses parents n'en avaient pas, aurait donc été confrontée à cette situation, brutale et nouvelle pour elle, sans broncher ni paniquer. Difficile à croire.
De plus, si elle avait bien été présente dans la Peugeot au moment du choc, la violence de ce dernier l'aurait, sans aucun doute, projetée contre le tableau de bord ou la portière passager (il n"y avat pas, en 1974, de ceinture de sécurité), occasionnant à l'enfant des ecchymoses plus ou moins importantes. Or aucune n'a été relevée sur son corps.

Selon Christian Ranucci, qui aurait en vain essayé d'ouvrir sa portière, Maria-Dolorès serait sortie la première de la voiture. Ce point est donc en contradiction totale avec les affirmations des Aubert qui ont déclaré avoir vu le suspect extraire la fillette de la Peugeot, donc en être sorti avant elle.
On peut s'interroger sur l'absence de réaction des policiers sur cet élément important.
De même, pas la moindre allusion au soi-disant dialogue entre Alain Aubert et Christian Ranucci...





Procès-verbal:

Je l'ai empêchée de crier en lui serrant le cou avec ma main gauche. L'enfant se débattait. Je vous précise que tout est confus dans ma mémoire parce que les choses se sont passées très vite. J'ai pris un couteau automatique qui se trouvait dans la poche de mon pantalon, j'ai ouvert ce couteau en appuyant sur le bouton et j'ai frappé la petite à plusieurs reprises. A partir de cet instant, je n'ai plus rien vu et je ne savais plu ce que je faisais. Je ne me souviens pas de ce que j'ai fait du corps, je ne sais pas si je l'ai traînée par terre. Je ne souviens cependant que j'ai arraché des branches, plus précisément des épineux, avec lesquelles j'ai recouvert le corps. Je garde encore sur mes mains les traces de piqûres et de coupures des épines et je vous les montre.

Je suis retourné sur la route après avoir remis le couteau dans ma poche si mes souvenirs sont exacts. Je me suis remis au volant de ma voiture et, après un parcours, je me suis engagé dans la piste qui donne accès à la galerie. Le long de cette piste se trouve une espèce de place où est étalée de la tourbe. C'est à cet endroit que je me suis débarrassé du couteau. Je l'ai jeté à terre et j'ai donné un coup de pied dedans.

J'ai déjà expliqué dans ma précédente déclaration la façon dont je suis sorti de la champignonnière.

Vous me présentez un pull de couleur rouge qui a été saisi par les gendarmes de Gréasque. Ce vêtement n'est pas ma propriété. Je ne l'ai jamais vu.

Je vous affirme que je n'ai pas violé cette enfant ni procédé à des attouchements impudiques."

- Pourquoi l'avoir enlévée?
Je ne sais pas. Je voulais l'emmener promener.

- Pourquoi ne pas l'avoir ramenée avant, quand elle l'a demandé?
Je comptais le faire. Tout s'est troublé dans mon esprit à partir de l'accident. Je suis incapable de vous en dire davantage.


Lecture faite par lui-même, persiste et signe avec nous à dix-sept heures.

FIN DE LA GARDE A VUE:

Disons que nous mettons fin à la garde à vue du sus nommé, qui sera déféré le 6 juin 1974 à dix huit heures devant M. le juge mandant.
Mention lue par l'intéressé qui signe avec nous.

ANNEXONS AU PRESENT: un plan des lieux, dressé par le mis en cause et signé de sa main.


Nous expliquons dans la rubrique relative au couteau les incohérences des déclarations de Christian Ranucci sur la manière dont il se serait débarrassé de l'arme du crime.

La mise en relation de ses aveux avec l'endroit où fut retrouvé le couteau et son enfouissement débouche sur deux "histoires" totalement différentes sans aucun rapport l'une avec l'autre.

Et de s'interroger, une nouvelle fois, sur les conditions dans lesquelles les aveux ont été passés.


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