La garde à vue
Dernière mise à jour: 21 septembre 2011

 

 



Interpellé à son domicile le 5 juin en fin d'après-midi, Christian Ranucci est conduit à la brigade de gendarmerie de Nice-Ouest pour y être interrogé à 19 heures dans le cadre d'une enquête pour délit de fuite commis le 3 juin au carrefour de La Pomme.



Procès-verbal d'audition de personne gardée à vue

Il est exact que j'ai eu un accident matériel de la circulation le 3 juin 1974, je pense vers 16 heures, alors que je venais d'Aix-en-Provence et que je me rendais à Nice, mais je ne puis préciser le lieu exact. Je venais de démarrer en 2ème vitesse d'un "stop" lorsqu'une voiture m'a percuté sur le côté gauche. J'ignore le genre de voiture avec laquelle j'ai eu l'accident. Je me suis affolé et je suis parti droit devant moi. Payant très cher l'assurance, j'avais peur de l'augmentation de celle-ci et de la suppression du permis.
Je ne me souviens pas avoir été poursuivi par un témoin.


Après avoir roulé environ un kilomètre, ayant un pneu qui touchait la carrosserie, je me suis arrêté sur le bord de la route pour réparer. A cet endroit, un chemin se trouvait sur ma droite, fermé par une barrière (tube en fer de couleur blanche et rouge). Je suis descendu de voiture pour ouvrir cette barrière et, après être remonté en voiture, j'ai dirigé celle-ci dans le chemin. Après avoir parcouru quelques centaines de mètres, je me suis arrêté pour effectuer la réparation que je n'avais pu faire au bord de la route.
La réparation effectuée, j'ai voulu repartir mais j'ai constaté que j'étais embourbé. Je me trouvais dans une sorte de trou ou bas-fond de terrain. Ayant aperçu des personnes, j'ai demandé de l'aide et ces personnes m'ont aidé à sortir la voiture. Elles m'ont même invité à boire une boisson chaude avec du citron. Je précise que ces personnes m'ont semblé être des Nord-Africains. Je précise aussi que ces personnes qui étaient employées dans une champignonnière ne m'ont aidé qu'à l'arrivée de leur patron.
J'ai quitté cet endroit vers 18 heures. Je tiens à préciser que je ne puis être affirmatif sur les heures, n'ayant pas de montre en ma possession ce jour-là. Je suis rentré directement à Nice où je suis arrivé vers 22 heures.

Je n'ai rien d'autre à dire sur cette affaire, ma déclaration reflétant la vérité.


Cette déposition est enregistrée à 20 heures.

Le procès-verbal est émargé de la mention suivante et clos à 20 heures 30:


Vu les articles 63 et 65 du Code de Procédure Pénale:
Pour les nécessités de l'enquête, nous estimons devoir retenir Ranucci Christian au bureau de la brigade de Nice-Ouest. Cette mesure de garde à vue prend effet le 5 juin 1974 à 18 heures 15', heure à laquelle il a été intercepté à son domicile.
De l'audition effectuée, il ressort qu'à l'encontre de Ranucci Christian, ont été réunis des indices graves et concordants de nature à motiver son inculpation pour délit de fuite, délit prévu et réprimé par l'article 12 du Code de la Route.
Par ailleurs, cette affaire faisant l'objet d'une commission rogatoire de M. le Juge d'Instruction Di Marino, du Tribunal de Grande Instance de Marseille, délivrée à M. le Commissaire Alessandra, du service Régional de Police Judiciaire de Marseille, et sur les instructions de M. le Procureur de la République à Nice, nous déférons l'intéressé à la salle des gardés à vue de Gioffredo.
Nous faisons parvenir directement à ce magistrat la procédure constituée en double exemplaire, telle que le détail en figure au bordereau d'envoi.


Christian Ranucci est donc placé en garde à vue pour inculpation pour délit de fuite. La gendarmerie de Nice semble donc à cet instant ignorer l'objet de la commission rogatoire du juge d'instruction marseillais mentionnée dans son procès-verbal.

Cette déposition de Christian Ranucci contient deux contrevérités: il ne venait pas d'Aix en Provence pour se rendre à Nice au moment de l'accident, mais bien de Marseille. D'autre part il ne s'est pas arrêté à hauteur de la barrière, mais bien avant, à environ sept cents mètres du carrefour.

Les partisans de sa culpabilité verront dans ces deux éléments un premier mensonge visant à dissimuler la réalité de l'enlèvement et du crime atroce qui s'ensuivit. Les explications données par Ranucci sur son arrêt ne sont en effet guère convaincantes. Pourquoi ne pas avoir fait la réparation au bord de la route et préféré, pour ce faire, une champignonnière humide et sombre? Si ce n'est pour s'y cacher et échapper à l'éventuel retour des époux Aubert ou de M. Martinez.

Si l'on retient, en revanche, la thèse de son innocence, ces mêmes éléments peuvent être interprétés de toute autre manière: les gendarmes niçois interrogeaient Christian Ranucci pour son délit de fuite. Craignant de perdre son permis de conduire, donc son travail, et incapable de se remémorer ce qui survint après l'accident, il aurait choisi de cacher sa nuit de beuverie marseillaise et tenté d'expliquer, tant bien que mal, sa présence, pour lui incompréhensible, dans la champignonnière.

Quoiqu'il en soit, lors de son interpellation à son domicile, Christian Ranucci ne semblait pas nerveux ni inquiet. Est-ce l'attitude d'un assassin d'enfant arrogant et bien décidé à duper son monde, ou celle d'un homme dont la seule faute était d'avoir commis un délit de fuite?



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