Le pantalon
Dernière mise à jour: 21 septembre 2011

 

 
 


L'incroyable saisie de la voiture


Si l'on en croit le dossier d'enquête, le coupé Peugeot aurait été saisi à trois reprises:


Le 5 juin 1974 vers 23 heures


Après avoir fouillé le véhicule, les policiers saisissent la voiture pour la ramener à l'hôtel de police de Marseille.


... Mentionnons que pour les nécessités de l'enquête, il nous appartient de procéder à la saisie du véhicule 304 Peugeot de couleur gris métallisé immatriculé 1369SG06. Ce véhicule se trouve garé dans le garage collectif de l'immeuble occupé par Ranucci Christian, à savoir les Floralies, Bt F, à Nice.

... Mentionnons que nous conduisons le véhicule 304 Peugeot, propriété du nommé Ranucci Christian, à l'Hôtel de Police de Marseille, pour les nécessités de l'enquête, et regagnons le service.


Le 6 juin 1974


L'inspecteur Robert Canonge rédige un procès-verbal de déposition de témoin relatif à l'audition de Mme Mathon.

La seconde partie du procès-verbal atteste la restitution de la voiture. Il est ainsi libellé:


De même suite, procédons à la restitution du véhicule de marque Peugeot "304" immatriculé 1369SG06 à Mme Mathon Héloïse. Elle en reprend possession et nous donne acte en signant avec nous le présent procès-verbal ...


Le 10 juin 1974 - 8 heures 30


L'inspecteur Robert Canonge rédige un procès-verbal de transfert du véhicule de Nice à Marseille.

Il y enregistre la déclaration de son collègue, Ernest Ott, qui confirme avoir pris possession de la voiture la veille, 9 juin, à la sûreté urbaine de Nice.

Voici le contenu de ce procès-verbal:


Robert Canonge, inspecteur principal

Officier de police judiciaire en résidence à Marseille,

Vu la commission rogatoire ci-joint, en date du 4 juin 1974, de Mlle Di Marino, premier juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance de Marseille,

Et relative à la procédure suivie contre le nommé Ranucci Christian, inculpé d'enlèvement de mineure de moins de quinze ans - Homicide volontaire.

Entendons en son rapport verbal, le sous-brigadier de police Ott Ernest, en fonction à la section criminelle Nord.


Lequel, après avoir déclaré n'être ni parent, allié, ni serviteur de l'inculpé et avoir prêté serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, a déposé comme suit: "Conformément aux instructions reçues, je me suis rendu le neuf juin mil neuf cent soixante quatorze, en la ville de Nice. Je me suis présenté au siège de la sûreté urbaine de cette ville où y étant, j'ai reçu des mains des fonctionnaires de ce service, afin de le conduire à Marseille, le véhicule de marque "Peugeot", immatriculé sous le numéro 1369 SG 06. Le voyage "Nice - Marseille" s'est effectué sans incident. A mon arrivée à Marseille, j'ai garé ce véhicule devant l'hôtel de police de l'Evêché suivant les ordres reçus. Je vous remets les clés de ce véhicule."


Après lecture faite personnellement, persiste et signe.


Le 10 juin 1974 - 10 heures


L'inspecteur divisionnaire Antoine Poli, de la sûreté urbaine de Nice, déclare par procès-verbal se rendre au domicile de Mme Mathon pour procéder à la saisie de la voiture.


Antoine Poli

Officier de police judiciaire en résidence à Nice,

Agissant en exécution des instructions télégraphiques, adressées ce jour à Monsieur le commissaire principal, chef de la sûreté urbaine de Nice, par Mlle Di Marino, premier juge d'instruction au Tribunal de Grande Instance de Marseille, dans le cadre de la commission rogatoire du chef de: Enlèvement de mineure de moins de 15 ans - Homicide volontaire, contre Ranucci Christian,

Nous prescrivant de saisir provisoirement le véhicule de marque Peugeot, type 304 S, immatriculé 1369 SG 06, ayant servi à la commission des faits et se trouvant au domicile de la mère de l'inculpé, Madame Mathon Héloïse, demeurant 61 bis avenue des Terrasses de la corniche fleurie à Nice,

Nous transportons, assisté de l'inspecteur de police Ferrer du service, à l'adresse sus-indiquée où étant, sommes reçus par la dame Mathon à qui nous déclinons notre qualité et expliquons l'objet de notre démarche.

Et, sans désemparer,
Entendons Madame Mathon Héloïse, divorcée Ranucci, née le 16 septembre 1922 à Avignon - 84 - sans profession, demeurant à l'adresse sus-indiquée qui déclare:
" Je prends acte que la voiture automobile de marque Peugeot, immatriculée 1369 SG 06, qui aurait été utilisée par mon fils Christian pour les faits qui lui sont reprochés, doit être saisie provisoirement par décision de justice. Je vous signale que je suis la légitime propriétaire de cette voiture. Je me réserve d'en solliciter ultérieurement la restitution. Je prends également acte que ce véhicule doit être conduit à Marseille.

Je laisse donc à la disposition de la justice ce véhicule, en l'état, qui m'a été remis par les services de police de Marseille ainsi que les clés. Je ne détiens pas la carte grise de cette voiture, document qui a été conservé par les services de police de Marseille.


Le 10 juin 1974


Le même Antoine Poli rédige un nouveau procès-verbal actant la remise du véhicule et sa saisie provisoire:


Antoine Poli

Officier de police judiciaire en résidence à Nice,

Poursuivant l'exécution de la dite commission rogatoire,

Constatons que la dame Mathon, Héloïse, nous conduit dans un box sis dans l'immeuble et où se trouve garée le véhicule 1369 SG 06.

Avec le consentement de la dame Mathon, l'inspecteur Ferrer dégage la voiture de son box et en compagnie de la sus-nommée se rend au siège de la sûreté urbaine, 45 rue Gioffrédo, où la voiture est garée dans la cour intérieure. Disons que ce transport s'est effectué sans incident.

Et, dans le même temps,
En la présence constante de la dame Mathon, nous saisissons provisoirement ce véhicule et instituons le brigadier chef de poste, gardien de cette voiture jusqu'à son enlèvement devant être effectué par les services de police de Marseille.
Et la dame Mathon signe avec nous le présent en ce qui concerne la saisie provisoire et pour avoir pris connaissance de la destination qui sera donnée à ce véhicule.


Très étonnantes ces gesticulatons autour de la Peugeot 304. La voiture est saisie "normalement" le 5 juin et menée à Marseille pour, c'est ce que l'on pouvait supposer, un examen minutieux. Examen très rapide en vérité puisque le véhicule était restitué à Mme Mathon moins de vingt-quatre heures après.

" Un nouvel examen ayant été jugé nécessaire", selon Mathieu Fratacci, "on a procédé ultérieurement à une seconde saisie".

Quand celle-ci fut-elle opérée? Mystère... Le 9 juin, selon le procès-verbal de l'inspecteur Canonge daté du lendemain 10 juin à 8 heures 30. Comment dès lors expliquer que ce même 10 juin, à 10 heures, les inspecteurs Poli et Ferrer ont déclaré, par procès-verbal, s'être rendu chez Mme Mathon ... pour prendre possession du même véhicule?

Dans ses cahiers publiés avec la correspondance de son fils, Mme Mathon devait par ailleurs donné quelques précisons tout aussi étranges: "... Après divers examens, la voiture fut rendue. Ce fut un journaliste de "Détective" qui me la ramena à Nice. Je fis le voyage à ses côtés... Il gara la Peugeot, ferma les portes du garage et me donna les clefs. Cependant, lorsque le lendemain matin, deux policiers de Nice me demandèrent de leur remettre à nouveau la voiture pour la rapporter à Marseille ... celle-ci n'y était plus. Elle avait dû être enlevée, la nuit, par les policiers de Marseille..."

Sans vouloir privilégier la parole de Mme Mathon sur celle des policiers, cet incident peut laisser perplexe. Même si elle commettait une erreur de date, ce n'était pas le lendemain mais trois jours après, Mme Mathon aurait-elle imaginé la "disparition" de la Peugeot, sachant au moment de la révéler c'est-à-dire bien après l'exécution de son fils, que cela ne changerait plus rien à son quotidien et à sa vérité? Peut-être. Mais si l'on rapproche ses écrits avec la datation des procès-verbaux, on peut s'interroger.

On le peut d'autant plus en lisant la note rédigée par l'inspecteur Canonge, le 12 novembre 1974, et destinée à Mlle Di Marino:


Objet: Véhicule automobile saisi et placé devant l'hôtel de police.

Affaire:
C/Ranucci Christian

Référence:
PV n° 828, du 6 juin 1974, du service.

Le 6 juin 1974, le véhicule automobile de marque Peugeot 304, immatriculé 1369 SG 06, propriété du nommé Ranucci Christian, avait été saisi et placé devant l'hôtel de police.

A ce jour et à seule fin de libérer le parking du commissariat central, il serait utile de remiser ce véhicule saisi dans un garage spécialisé à cet effet.


Ainsi, selon ce document interne, la saisie aurait été faite officiellement le 6 juin.

La note de Mr Canonge semble également évoquer une présence ininterrompue de la Peugeot 304 sur le parking du commissariat central.

Dans son arrêt du 9 février 1977, statuant sur la demande de restitution de la voiture, la chambre d'accusation de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence précisait de son côté: "Attendu que la voiture automobile Peugeot 304 immatriculée sous le numéro 1369 SG 06 et appartenant à Christian Ranucci a été saisie le 10 juin 1974 par les services de police agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction."

Tout ceci, avouons-le, est bien curieux. Quelle interprétation donner à tant erreurs ou "bizarreries"? Difficile à dire. Sont-elles l'illustration de manipulations visant à dissimuler quelque chose de peu convenable? Ou ne sont-elles que la conséquence d'un à priori de culpabilité qu'il convenait de confirmer au plus vite?

Citons la réflexion de Mathieur Fratacci sur ces "discordances": "S'il en était vraiment ainsi, ce serait en effet inquiétant du point de vue du respect de la légalité dans le déroulement des opérations, mais ça n'aurait aucune influence déterminante sur la culpabilité ou l'innocence de l'inculpé."

Conclusion édifiante puisqu'elle justifie le non-respect des règles de procédure et le recours à des méthodes que nous nous garderons bien ici de qualifier.



Page précédente
copyrightfrance