Citation :
Là encore si les policiers s'étaient donnés la peine d'embarquer CR avec eux pour qu'il retrouve l'endroit, ça leur aurait permis de demander des confirmations aux employés du bar.
Chris, vous devez garder à l’esprit que, si un événement ne se trouve pas dans le livre de Perrault (ou dans un autre bouquin sur l'affaire), ça implique nécessairement que cet événement n’existe pas. Il est plus que probable que les enquêteurs ont effectué de nombreuses vérifications et enquêtes de voisinage tant à Nice qu'à Marseille. C’est ce que Mathieu Fratacci affirme dans son livre en tout cas:
Citation :
Selon une autre version, qu'adoptent certains auteurs, notamment Maurice Périsset dans Plus jamais d'échafaud ! ( éd. Alain Lefeuvre), son essai sur les dossiers noirs de la peine de mort, Christian Ranucci aurait passé la nuit à Marseille, ballotté de cafés en boîtes et de boîtes en cafés, désoeuvré, essayant de tromper son ennui en buvant beaucoup trop. De sorte que le lendemain, sous l'effet conjugué de l'insomnie et de l'alcool, il se serait senti très fatigué et aurait décidé de rentrer chez lui. Son état expliquerait le non respect du stop, la collision et tout le reste. Par exemple, qu'il ne se souvienne pas comment il est arrivé dans la champignonnière. Aucune preuve n'est jamais venue confirmer cette version. Or, une tournée nocturne des bistrots marseillais, ça laisse des traces. La faune qui hante les lieux est caractéristique et relativement réduite pour qu'on remarque la présence, ici ou là, d'un jeune homme comme Ranucci qui n'est pas un habitué. La police peut aussi compter sur certaines sources pour obtenir les renseignements dont elle a besoin. Elle entretient ses réseaux d'indics. Or, nous n'avons jamais recueilli aucun écho crédible de cette hypothétique virée.
Dans le cadre de la deuxième révision du procès, sur instruction de la Chancellerie, Paris déléguera un commissaire divisionnaire pour rechercher un fonctionnaire de police qui aurait entendu, au moment de l'enquête, un témoin de la présence de Ranucci à Marseille, un nommé Moussy. Il se trouve que j'étais le fonctionnaire en question. Je suis bien placé pour dire exactement ce qu'il en est.
Toutefois, avant d'en arriver aux conséquences et à la signification de ce rebondissement, il me paraît utile de rappeler les allégations qui en sont à l'origine.
Ce n'est que trois ou quatre mois plus tard que Christian Ranucci, revenant brusquement sur ses précédentes dépositions, affirme ne pas avoir été à Salernes, et fait état de cette tournée nocturne dans les rues chaudes de la cité phocéenne la veille du crime. Il prétend avoir passé son temps à boire. Il aurait même écrasé un chien qui traversait la chaussée, sur la route de Saint-Loup, La Pomme, SaintMarcel, qui sont des banlieues Est de Marseille. Il serait descendu de son véhicule pour chercher le propriétaire de l'animal et régler l'incident à l'amiable. Mais il n'aurait pas trouvé celui-ci.
Un témoin serait arrivé sur les lieux, un automobiliste qui se serait arrêté, un certain Moussy, lequel pourrait corroborer ses dires en cas de poursuite. Il lui aurait dit : « Vous n'avez pas tort. Je peux témoigner que le chien s'est jeté sous les roues de votre voiture ».
Les deux hommes auraient même échangé leurs identités à toutes fins utiles. Il y a décidément beaucoup de chiens dans les histoires de Ranucci.
Cet épisode est à rapprocher de l'accident de La Pomme. Comment le même Ranucci, qui s'arrête pour avoir simplement heurté un chien, avec le souci de se mettre en règle, prend-il la fuite lors d'un accident plus grave, après avoir brûlé un stop ? Son comportement serait pour le moins incohérent. De plus, le choc avec le chien aurait certainement laissé des traces, sinon des marques de coups, du moins des poils ou du sang de l'animal. L'examen minutieux du véhicule n'a rien relevé de semblable.
De même, lorsqu'on a fouillé Christian Ranucci, nous n'avons retrouvé sur lui aucun document susceptible de nous mettre sur cette voie. Pas une adresse. Pas un nom.
Nous l'aurions exploité aussitôt. Remarquons, d'autre part, qu'il faudrait admettre que Ranucci ait accompli tout ce périple en étant fin saoul, dans un état où la conscience se trouble, où la mémoire fonctionne mal. Et il s'en souviendrait brusquement, comme par miracle, alors qu'il assure avoir oublié quantité d'autres détails de plus grande importance... Allons donc !
Considérons que la photographie de Ranucci a été publiée dans la presse. Celle-ci exploite l'affaire à longueur de colonne en la montant en épingle pour faire grimper le tirage. Malgré tout le bruit qu'elle cause, ce témoin tardif ne se présente pas aux enquêteurs de lui-même. II faut - à supposer qu'il existe ailleurs que dans l'imagination de l'inculpé - le rechercher et le retrouver pour ne négliger aucune information.
Les enquêteurs l'ont fait. Preuve de plus, s'il en était besoin, qu'on ne saurait les taxer d'avoir systématiquement chargé l'inculpé pour fabriquer à tout prix un coupable.
Peut-on vraiment concevoir que, dans un cas semblable, un témoin important, alerté par les journaux de ce que la vie d'un homme est en train de se jouer, ne se ferait pas connaître alors qu'il sait que son témoignage peut l'innocenter ? Je ne le pense pas. Ce ne serait pas une simple négligence mais de la non-assistance à personne en danger de mort. Car, au regard du battage de presse, il ne pouvait pas ne pas être au courant.
C'est dans ce contexte que je suis chargé par le commissaire Alessandra de retrouver le fameux Moussy et de l'entendre. C'était une mission impossible. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Je ne disposais d'aucun fil conducteur, ni du moindre renseignement. Sur une ville d'un million d'habitants, sans adresse, sans signalement, j'ai poussé mes investigations de tous les côtés, me fiant à mon flair et au hasard pour pallier l'absence d'indices. N'étant pas Madame Soleil, la célèbre voyante, malgré tous mes efforts, mes recherches sont demeurées infructueuses. Je n'ai trouvé ni Moussy, ni personne correspondant de près ou de loin à ce prétendu témoin. Sans doute parce qu'il n'y avait en réalité personne à trouver.
De toutes façons, ce témoignage n'aurait rien changé puisqu'il se serait reporté à des événements antérieurs à l'enlèvement et au crime. Que Ranucci ait passé la nuit à dormir dans sa voiture en rase campagne, du côté de Salernes, ou à lever le coude dans les bars louches de Marseille, n'infléchissait pas le cours de l'histoire en sa faveur. Il ne devient assassin que le lendemain, après 12 h 30, heure de l'accident. Qu'il soit à Salernes ou à Marseille, dans les deux cas, il a largement le temps d'enlever la fillette et de la tuer.
Au contraire de ce que certains avancent, dans cette enquête, ceci venait à charge et non à décharge de Ranucci. S'il avait menti pour une question aussi secondaire que le lieu de sa présence, il pouvait mentir également sur d'autres points plus importants.
[…]
Les rumeurs sont allées bon train, à l'époque, mais surtout après. J'ajouterai que cette hypothèse a également été envisagée au moment de l'enquête. Nous avons exploité toutes les pistes possibles. Mais les recherches faites en ce sens ont dû être abandonnées car rien ne les motivait. Elles conduisaient à une impasse. Des procès-verbaux de diverses dépositions, dont certaines fantaisistes, comme il advient souvent dans ces sortes d'affaires, ont été établis. On peut faire confiance aux enquêteurs pour n'avoir rien négligé, contrairement aux allégations mensongères de nos détracteurs.
Lorsque des enquêteurs passent des journées et des nuits à interroger des patrons de bar et que ces investigations ne donnent rien, un procès-verbal de déclaration négative n’est pas nécessairement rédigé et s’il est rédigé des centaines de pages de « Je déclare m’appeler la Grosse Lulu et habiter Marseille. Je ne reconnais pas l’homme dont vous me montrez la photographie ») ne sont pas nécessairement versées au dossier de la procédure. Et si elle y sont versées, Jean-Denis Bredin et Jean-François le Forsonney, qui ont accès au dossier, ne communiquent pas nécessairement à Gilles Perrault ce fatras de déclarations sans intérêt. Et s’ils le communiquent à Gilles Perrault, celui-ci ne recopie pas nécessairement toutes ces déclarations dans son bouquin. Soit il n’en parle pas, soit il les résume toutes d’une phrase.