Concernant l'emplacement du couteau, Ranucci donne deux versions, qu'il est bon, je crois, de citer toutes deux, dans leur contexte, avant de les déclarer imprécises. Tout d'abord, il déclare aux policiers, après 13 heures :
"Je suis retourné sur la route après avoir remis le couteau dans ma poche si mes souvenirs sont exacts. Je me suis remis au volant de ma voiture et, après un parcours, je me suis engagé dans la piste qui donne accès à la galerie. Le long de cette piste se trouve une espèce de place où est étalée de la tourbe. C'est à cet endroit que je me suis débarrassé du couteau. Je l'ai jeté à terre et j'ai donné un coup de pied dedans."
Les policiers ont donc lancé les gendarmes à la recherche du couteau à partir de cette déclaration. Ranucci arrête là son récit, car il dit qu'il a déjà expliqué tout ce que concerne la galerie, qui reste inchangé par rapport à sa précédente déclaration, mais on peut aisément déduire que le couteau se trouve quelque part entre la barrière du chemin et la galerie. Cependant, cela ne doit pas être si clair dans l'esprit des policiers, car ils ne donnent pas cette précision aux gendarmes. De plus, Ranucci n'a pas indiqué qu'il avait enfoui le couteau. Le capitaine Gras dira plus tard à Gilles Perrault que les policiers de Marseille lui ont simplement dit : "Le crime a eu lieu dans le secteur et le couteau ne doit pas être loin: cherchez-le !"
Il est un autre détail qui échappe aux policiers, mais cette fois, on ne saurait le leur reprocher : quand Ranucci dit "tourbe", il parle en fait de fumier. En effet, un passage du Récapitulatif, qui est de sa main, le confirme : "... un terre-plein recouvert par endroits d'une couche de tourbe - servant vraisemblablement à la culture des champignons..." Or, si le fumier est un engrais, ça n'est pas le cas de la tourbe. "Une espèce de place où est étalée de la tourbe" désigne en fait probablement un endroit où est entassé du fumier. Difficile pour les policiers de comprendre que de la tourbe étalée est en réalité du fumier entassé. On comprend que la recherche prenne du temps.
Gras se met donc au travail vers 17h30, avec un détecteur de métaux, en commençant par les bois autour du lieu du crime, et ne trouve pratiquement pas d'objets métalliques au début. Une demi-heure plus tard, Ranucci recommence son récit devant le juge d'instruction, et finit par donner (vers 18h30 ?) une seconde version concernant l'enfouissement :
"Presque immédiatement après avoir égorgé l'enfant, j'ai rejoint mon véhicule. J'ai poursuivi ma route et à un moment donné, je me suis engagé sur un chemin situé sur la droite de la route. A un moment donné, j'ai enlevé une barre de fer qui me barrait le passage. Un peu plus loin, je me suis arrêté et j'ai jeté le couteau [automatique] avec lequel j'avais porté des coups à l'enfant, j'ai donné un coup de pied au couteau, ce qui a eu pour effet d'enfouir le dit couteau dans la tourbe qui se trouvait à cet endroit.
Je suis remonté à bord de mon véhicule avec l'intention de rejoindre l'entrée d'une galerie se situant à cet endroit pour réparer mon véhicule endommagé par l'accident."
C'est confirmé, le couteau se trouve bien entre la barrière du chemin et l'entrée de la galerie. Il ne semble pas avoir été enfoui très loin de la barrière ("un peu plus loin", dit-il) ; cependant, la répétition de l'indication "à cet endroit", pour désigner le tas de "tourbe" d'une part, et la galerie d'autre part, prouve que ces deux endroits sont très proches, puisqu'ils sont au même endroit. C'est donc assez près de la galerie que le couteau a été enterré, dans ce que Ranucci appelle de la tourbe et qui est en fait du fumier, qui sert d'engrais pour les champignons.
Où Gras retrouve-t-il le couteau exactement ?
"Situation des lieux: Le lieu est situé en bordure du chemin conduisant à la champignonnière et à 100 mètres de l'entrée.
Description des lieux: Il s'agit d'un terre-plein recouvert de fumier en tas. Ce fumier en partie séché est assez dur. Sa répartition sur le sol ressemble à un croissant dont les deux branches se trouvent à l'est et à l'ouest et l'ouverture entre les extrémités au nord. Au centre de ce croissant une mare de purin stagne.
Au-delà de la partie est de ce croissant se trouvent de la broussaille, des arbres. La partie ouest du croissant est limitée par le chemin de terre conduisant à la champignonnière."
Ranucci : "le long de cette piste"
Gras : "en bordure du chemin"
Ranucci : "une espèce de place où est étalée de la tourbe"
Gras : "un terre-plein recouvert de fumier en tas"
Ranucci : "l'entrée d'une galerie se situant à cet endroit"
Gras : "à 100 mètres de l'entrée" [de la champignonnière]
Voici maintenant comment Ranucci raconte, dans son Récapitulatif, le passage sur les lieux lors de la reconstitution (cette partie de l'affaire intéressait fort peu mademoiselle Di Marino, apparemment, alors qu'y passer des heures pour obtenir tous les détails aurait été nécessaire, selon moi) :
"Nous remontâmes dans les véhicules, et après un kilomètre environ en direction de Marseille, les véhicules s'engagèrent sur un petit chemin, peu visible de la route, ils le suivirent sur 300 mètres, s'arrêtèrent, sur un terre-plein recouvert par endroits d'une couche de tourbe - servant vraisemblablement à la culture des champignons - le tout entouré de végétation. L'entrée de la galerie de la champignonnière n'est pas visible du terre-plein, la seule indication est un petit chemin en pente descendante qui paraît s'enfoncer dans la colline vers nulle part. Il faut le suivre pour parvenir à l'entrée vaguement circulaire de la galerie boueuse, pierreuse et sombre."
"Un kilomètre environ", c'est en fait 745 mètres (c'est le trajet suivi par le chien de l'entrée du chemin à l'aplomb du corps, emplacement dont on vient lors de la reconstitution). A rapprocher des 700 mètres environ qui deviennent "un kilomètre environ" chez M. Aubert. Estimation finalement pas si imprécise que ça, puisque Ranucci arrondit de la même façon.
Ensuite, il nous dit qu'il y a 300 mètres jusqu'au terre-plein. Le chien, lui, parcourt 443 mètres de la galerie à l'entrée du chemin, et le terre-plein est à environ 100 mètres de la galerie. Il y a donc environ 340 mètres du terre-plein à la barrière ; les 300 mètres de Ranucci sont une très bonne estimation.
Il semble bien qu'il y ait un seul endroit, proche de la galerie, où du fumier est entassé. L'emplacement où on trouve le couteau semble donc correspondre exactement à ce qui est décrit par Ranucci dans ses deux déclarations du 6 juin.
La seule divergence qui existe, c'est que Ranucci dit à mademoiselle Di Marino : "je suis remonté à bord de mon véhicule avec l'intention de rejoindre l'entrée d'une galerie se situant à cet endroit", alors que, d'après le Récapitulatif, "l'entrée de la galerie de la champignonnière n'est pas visible depuis le terre-plein". Je crois qu'il en rajoute un peu dans ce domaine, puisqu'il décrit auparavant le chemin à la barrière en fer rouge et blanche comme "un petit chemin, peu visible de la route". Tous ces détails sont là pour le disculper, bien sûr (selon lui, il faut connaître les lieux pour y venir, ce qui n'est pas du tout démontré). Cependant, je veux bien croire que l'on ne peut savoir où on va, si on descend vers la galerie depuis le terre-plein. Mais n'est-il pas facile, après s'être dit que ce chemin menait peut-être vers un endroit discret, de le descendre à pied pour voir où il aboutit, et de remonter chercher sa voiture après avoir découvert une galerie sombre et déserte assez grande pour la cacher ?
Quoi qu'il en soit, j'arrive quant à moi à cette conclusion : ce ne sont pas les indications de Ranucci, telles qu'elles existent dans la version de 13 heures, qui ont permis à Gras de retrouver le couteau, tout du moins pas avant qu'on ne lui transmette par téléphone des indications complémentaires, plus précises ; cependant, les détails combinés des versions de 13 heures et de 18 heures (qui ne se contredisent pas du tout sur ce point) coïncident avec l'emplacement réel du couteau. Le couteau était bien caché là où Ranucci l'avait dit, même si on ne s'est pas servi de ce qu'il avait dit pour le retrouver.
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