Bonne lecture
NICE matin Mardi 4 juin 1974 – dernière page
Une fillette de huit ans enlevée par un inconnu à Marseille
MARSEILLE. - Une fillette de 8 ans, Marie Dolorès Rambla a été enlevée hier en fin de matinée par un inconnu, alors qu'elle jouait dans le parc de la cité Sainte-Agnès, dans le quartier des Chartreux, où elle demeure avec ses parents.
Son père, M. Pierre Rambla, ouvrier boulanger, s'est présenté au poste de police pour signaler cette disparition. Grâce au témoignage de son jeune fils, Jean, âgé de 5 ans, qui jouait avec sa soeur, il a pu connaitre les circonstances précises de cet enlèvement. Il était 11 h environ lorsqu'un inconnu s'approcha des deux enfants et leur demanda s'ils n'avaient pas vu un chien noir. Sur leur réponse négative, il les engagea à chercher avec lui. C'est ainsi qu'il prit la fillette par la main, puis dit au garçonnet de chercher de son côté, dans le sens opposé des allées du parc. Quelques minutes plus tard, lorsque le garçonnet revint à son point de départ, il ne vit plus sa sceur. Il rentra immédiatement chez lui et prévint son père.
Selon le garçonnet il s'agit d'un individu de grande taille, jeune, bien vêtu, et qui était arrivé dans une voiture de couleur grise. Quant au signalement de la fillette, il est le suivant : 1 m 30 environ, de corpulence mince, yeux marrons, cheveux chatains non frisés, visage ovale, teint clair. Elle porte une cicatrice sur l'aile droite du nez. Elle est vêtue d'un short blanc, d'une chemisette blanche à manches courtes et porte des chaussures genre sabot.
La police a immédiatement entrepris des recherches qui n'ont encore pas abouti. Il s'agit vraisemblablement, si l'on se fie aux déclarations du petit Jean, de l'acte d'un déséquilibré ou d'un sadique, car M. Pierre Rambla ne se connait aucun ennemi.
Mercredi 5 juin 1974 – première page
Marseille : L'angoisse grandit dans la famille de Dolorès
(la fillette enlevée lundi par un inconnu)
La fillette, âgée de 8 ans (ci-dessus) a été enlevée lundi matin par un homme qui l'avait attirée en lui demandant de chercher son chien soi-disant perdu. L'hypothèse d'un rapt en vue d'obtenir une rançon ne pouvant être retenue, la police pense qu'il s'agit de l'acte d'un déséquilibré.
Les parents de la petite Dolorès dans leur logement, en compagnie de deux autres de leurs enfants.
(Téléphotos A.F.P.)
Mercredi 5 juin 1974 – dernière page
L'acte d'un déséquilibré affirment les policiers chargés de l'enquête sur le rapt de la petite Dolorès
Jean, le frère de Dolorès :
il a vu le ravisseur.(A.P.)
MARSEILLE. - « Pitié pour mon enfant, rendez-la nous », c'est ce que ne cesse de répéter dans son désespoir, Mme Dolorès Rambla, dont la fille, Marie-Dolorès, a été enlevée lundi, en fin de matinée, alors qu'elle jouait avec son petit frère Jean, dans le parc situé à l'entrée de la cité H.L.M. Sainte-Agnès, du quartier des Chartreux, à Marseille.
Dès hier matin, les inspecteurs du deuxième secteur de la Sûreté urbaine, sous les ordres du commissaire Alessandra, ont commencé leurs investigations mais ils ne possèdent que bien peu d'éléments leur permettant d'avancer dans l'enquête qui leur a été confiée.
Le seul témoignage qu'ils possèdent sur le rapt est celui du petit Jean Rambla, 6 ans, frère de la disparue, éloigné par le ravisseur sous le prétexte de retrouver un chien noir qu'il aurait perdu. Le bambin a pu donner aux policiers un signalement assez précis de cet homme et décrire sa voiture, de marque « Simca » assure-t-il. Toutefois, cette déclaration ne semble pas devoir apporter aux enquêteurs beaucoup de précisions sur la personnalité du ravisseur. Il est exclu qu'un portrait-robot puisse être élaboré à partir des indications fournies par l'enfant.
Bien que les autres hypothèses ne soient pas à écarter, aussi bien celle de la vengeance que celle d'une demande de rançon, les enquêteurs se montrent de plus en plus persuadés que la petite Marie-Dolorès a été enlevée par un sadique ou par un maniaque sexuel.
Il ne semble pas que Marie-Dolorès ait pu suivre l'inconnu de son plein gré. Sa maman est affirmative sur ce point : « Ma fillette n'est pas liante avec les gens qu'elle ne connaît pas. Le ravisseur a dû la pousser de force dans la voiture».
On ne peut guère retenir l'éventualité d'un rapt en vue de percevoir une rançon : M. Pierre Rambla, 38 ans, exerce le métier d'ouvrier boulanger. D'origine espagnole, il est venu se fixer à Marseille avec sa femme voici dix ans. Le couple a maintenant quatre enfants des jumeaux, Noël et Karine, 4 ans, Jean, 6 ans et Marie-Dolorès, 8 ans.
Par ailleurs, M. Pierre Rambla se trouve depuis une quinzaine de jours en congé de maladie. Cette famille n'est donc pas en mesure de verser à quiconque une éventuelle rançon.
Il faut également exclure un acte de vengeance. M. Rambla est formel : « Je ne me connais aucun ennemi. Ma vie est simple et sans problème. Ma femme et moi formons un ménage uni, sans nuages». Plongés depuis lundi dans l'angoisse, les époux Rambla sont persuadés que leur fillette est la victime d'un fou.
En vue d'identifier le déséquilibré auteur du rapt, les policiers ont fait venir, hier après-midi, à l'hôtel de police le frère de Marie-Dolorès. Arrivé à 14 h, Jean Rambla est resté environ deux heures dans les locaux de la Sûreté urbaine. Il a renouvelé ses précédentes déclarations devant les inspecteurs qui lui ont ensuite montré toute une série de photos de désaxés, détraqués sexuels et exhibitionnistes, qu'ils possèdent dans leurs fichiers. Dans aucun de ces maniaques le garçonnet n'a reconnu l'homme qui lui a adressé la parole pour lui demander de retrouver le chien soi-disant perdu.
Au sujet de l'enquête, le commissaire divisionnaire Jacques Cubaynes, chef de la Sûreté urbaine, a précisé que celle-ci était menée sur deux fronts : l'enquête judiciaire consistant en la recherche et l'exploitation de tous les éléments et témoignages, et une action «en surface», avec un quadrillage géographique, allant des investigations sur les lieux du rapt, avec des chiens policiers, jusqu'à une exploration plus vaste avec la participation d'hélicoptères.
Jeudi 6 juin 1974 – première page
Quelques heures après la découverte du corps près de Marseille
Le meurtrier presumé de la Petite Dolorès arrêté à Nice
alors qu'il rentrait chez lui
C'est le témoignage d'un automobiliste marseillais, à la suite d'un banal accident, qui a permis aux enquêteurs d'appréhender Christian Ranucci (ci-contre, montant dans une voiture de la police), âgé de 20 ans et domicilié Corniche Fleurie. (Photo Castiès)
Jeudi 6 juin 1974 – dernière page
L’assassinat de la petite Marie-Dolorès
C'est à partir d'un banal accident de la route qu'ont retrouvé la trace du meurtrier présumé
Huit ans, et la mort au bout.
Une mort atroce, donnée par un sadique, un dément que la police n'a eu de cesse de traquer, de mettre hors d'état de nuire. Car ce que l'on redoutait s'est, hélas, produit : la petite Marie-Dolorès Rambla, enlevée le lundi de la Pentecôte à Marseille, a été retrouvée assassinée hier après-midi, dans un petit bois de la commune de Peypin (Bouches-du-Rhône).
Presque par hasard d'ailleurs, puisque c'est dans le cadre d'un délit de fuite consécutif à un accident que des gendarmes ont été amenés à fouiller ce petit bois, dans le quartier de la Pomme, et à faire cette tragique découverte.
A partir de là, les choses allaient se précipiter : en fin de journée on apprenait que le meurtrier présumé de Marie-Dolorès était appréhendé à Nice. Voici comment les policiers ont pu remonter la filière en quelques heures, entre Marseille et Nice :
C'est un banal accident de la route qui a finalement précipité la découverte du dénouement tragique de l'enlèvement de la petite Marie-Dolorès.
La fillette, âgée de 8 ans, avait disparu le lundi de Pentecôte, vers 11 heures. Quelques instants auparavant, elle jouait avec son frère, Jean, 6 ans, à proximité du domicile paternel, à l'entrée de la cité H.L.M. Sainte-Agnès, quartier des Chartreux, à Marseille. Selon les déclarations du garçonnet, le ravisseur, un homme jeune et de grande taille, arrivé à bord d'une voiture grise, avait éloigné le petit Jean sous le prétexte de retrouver un petit chien noir qu'il prétendait avoir perdu. A son retour, Marie-Dolorès et l'inconnu avaient disparu.
Marie-Dolorès était la fille aînée de M. Pierre Rambla, ouvrier boulanger, et de son épouse, Dolorès, d'origine espagnole, venus se fixer, voici dix ans, à Marseille. Le couple a trois autres enfants, Jean et deux jumeaux, Noël et Carinne, 4 ans.
Une enquête difficile
Depuis lors, toutes les recherches étaient demeurées vaines. Dès le début, l'enquête, conduite par la Sûreté urbaine de Marseille, s'était orientée vers un rapt commis par un sadique. Cet enlèvement avait provoqué une très vive émotion parmi la population marseillaise indignée. Cependant, tous les efforts des enquêteurs, qui ne disposaient que de l'unique témoignage de l'enfant, n'avaient abouti, hier matin, à aucun résultat positif.
C'est l'appel téléphonique, hier, vers 13 h 30, du témoin d'une collision sans gravité survenue lundi dernier entre 12 heures et 14 heures, sur la R.N. 8 bis, à 24 kilomètres environ à l'est de Marseille, qui devait orienter de manière définitive les recherches policières. Cet homme avait été intrigué par le comportement du conducteur d'un des deux véhicules accidentés ce jour-là sur le territoire de la commune de Peypin (Bouches-du-Rhône). Il avait vu l'inconnu démarrer brusquement, puis s'arrêter quelques kilomètres plus loin et sortir en toute hâte de sa « 304 S » grise en tenant par le bras une fillette vêtue d'une chemisette et d'un short blancs. L'homme et l'enfant avaient immédiatement gagné le bois voisin. Le témoin avait essayé de les rattraper mais avait bien vite dû renoncer. Il avait pris soin cependant de relever le numéro minéralogique.
La tête écrasée
A la lecture de la presse, ce témoin a fait le rapprochement entre le rapt de Marie-Dolorès et la scène de l'accident.
Ainsi alerté, le commissaire chargé de l'enquête a ordonné sans tarder que des battues soient effectuées dans ce secteur par les gendarmes. Vers 15 heures, ces derniers découvraient dans un bois de pins et de chênes, à une trentaine de mètres seulement de la route, le corps ensanglanté de Marie-Dolorès. Le visage de l'enfant avait été écrasé au moyen d'une pierre tranchante. Peu de temps après, M. Pierre Rambla arrivait sur les lieux et, en sanglotant, reconnaissait le corps de son enfant.
Le petit corps reposait dans le lit d'un torrent à sec au milieu d'un fourré d'épineux. La pierre qui avait servi à lui écraser la face se trouvait à ses côtés. Les enquêteurs pensent que le ravisseur, se croyant démasqué, a agi dans un moment d'affolement. Aucun désordre n'a été constaté dans les vêtements de Marie-Dolorès, ce qui permet de penser qu'elle n'a pas été violée.
Un second témoignage
Un second témoignage permet de reconstituer le comportement du ravisseur après qu'il se fut débarrassé de la fillette. Le propriétaire d'une champignonnière se trouvait, dans le courant de ce même après-midi, en présence d'un automobiliste en difficulté au milieu d'un terrain boueux dont il ne pouvait pas se dégager. Il lui offrit ses services et le remit en terrain solide en tirant avec son tracteur la « 304 S » de couleur grise.
A partir de ces deux témoignages, une diffusion générale a été faite et le propriétaire de la voiture immatriculée 1369 SG 06 était appréhendé par les gendarmes au moment où il regagnait son domicile, Corniche-Fleurie, à Nice, en fin d'après-midi.
Vers 21 h les gendarmes ont amené Christian Ranucci à l'hôtel de police de la rue Gioffrédo à Nice. A la même heure le commissaire principal Alessandra, de la section criminelle de la P.J. quittait Marseille pour Nice où il arrivait aux alentours de 23 heures.
Il eut un entretien d'une heure environ avec le meurtrier présumé et c'est vers minuit que le policier partait pour Marseille en compagnie de Christian Ranucci.
« De très graves soupçons pèsent sur Ranucci, a déclaré le fonctionnaire du S.R.P.J. Il n'a pas avoué avoir tué la petite Marie-Dolorès. Dans le cadre de l'enquête qui nous a été confiée par commission rogatoire du juge d'instruction nous le ramenons à Marseille afin de le confronter avec les personnes dont les témoignages font de Ranucci le suspect N" 1 ».
La voiture porte les traces de l'accident survenu peu après le rapt. (Photo G. Castiès)
La mère du suspect n° 1: «Mon fils est encore un enfant…»
C'est à 19 h, hier soir, que les gendarmes de la brigade Nice-Ouest se sont présentés au domicile de Christian Ranucci, né le 6 avril 1954, soupçonné d'être le meurtrier de la petite Marie-Dolorès, pour l'appréhender
Christian Ranucci demeurait avec sa mère dans un nouveau petit immeuble des Terrasses de la Corniche Fleurie... à deux pas de la gendarmerie.
C'est à partir de cette plaque d'immatriculation que les enquêteurs ont pu parvenir à identifier le meurtrier présumé.
(Photo G. Castiès)
Les gendarmes venus interpeller Christian déclarèrent à sa mère qu'il était recherché pour délit de fuite et celle-ci se contenta de cette explication.
Elle aurait pu entendre à la télévision les soupçons qui pèsent sur son fils, mais à l'heure des informations, elle se trouvait dans les locaux de la gendarmerie où elle avait apporté à son enfant le repas du soir dans un filet à provisions.
«Je vous remercie de me l'avoir laissé voir», dit-elle aux gendarmes en s'en allant.
«UN GENTIL GARÇON... »
Lorsque nous avons revu Mme Ranucci à son domicile, un peu plus tard, elle regardait le film en couleur de la deuxième chaîne « La charge de la 8e brigade ». Elle tourna le bouton pour nous parler de son fils.
« Vous pensez que cet accident va lui faire perdre sa place? » nous demanda-t-elle inquiète.
« Christian est un gentil garçon, il aime bien les enfants et il bricole volontiers. C'est lui qui a posé cette tapisserie dans la cuisine.
« Depuis un mois environ, il avait trouvé une place de représentant. Cela lui plaisait beaucoup.
« Il était parti dimanche au début de l'après-midi pour Marseille et il est revenu lundi soir, vers 21 h 30. Hier, il a travaillé avec un de ses camarades et aujourd'hui aussi. »
Mme Ranucci a évoqué ensuite les souvenirs de leur vie commune. Divorcée, elle avait la garde de l'enfant avec lequel elle a vécu à Avignon, puis dans l'Isère où elle tenait un bar-restaurant de routiers et finalement à Nice.
« Christian avait son B.E.P.C. qu'il a passé assez tard car les changements de résidence ont retardé ses études», dit-elle.
« Lorsque nous avions le restaurant, il m'aidait beaucoup. Mais c'était trop dur pour nous. »
Maintenant, Mme Ranucci garde les enfants du voisinage, qui l'appellent affectueusement « Tata Lise ».
Cela l'aida à supporter la séparation de son fils, qui vient de terminer son service militaire dans un régiment de chars, en Allemagne fédérale.
« L'accident n'a pas dû être si grave que cela, nous dit-elle. La carrosserie est à peine enfoncée sur le côté gauche. Venez voir. »
Elle nous conduisit au garage, où la 304 gris métallisée 1369 SG 06 était garée. Elle portait une éraflure et un enfoncement sur la portière arrière gauche.
« Les gendarmes n'ont pas eu la curiosité de la regarder», nous dit-elle, tandis que nous découvrions un paquet de galettes sur le siège arrière et une carabine enveloppée dans une serviette-éponge sur le plancher, à l'arrière.
« C'est une carabine d'enfant, nous dit la mère. ll l'avait déjà à l'âge de 11 ans, pour s'amuser à tirer sur les oiseaux.
.. Mon fils est très gentil, dit-elle en nous quittant. Mais vous savez, lorsqu'il fait des petites bêtises, il essaie de me le cacher, de peur que je le gronde. C'est encore un enfant! »
P.-F. LEONETTI.
Cet homme effondré : le père de la petite Marie-Dolorès, qui vient de reconnaître le corps de sa fille. (A.P.)
Vendredi 7 juin 1974 – première page
Les terribles aveux de Christian Ranucci
Après 15 heures d'interrogatoire, le jeune homme craque : "Oui, j'ai tué Dolorès ! J'ai perdu la tête quand on m'a suivi"
Le jeune assassin à son arrivée dans les locaux de la P.J. de Marseille, l’autre nuit, alors qu’il n’était encore que le suspect N°1.
Vendredi 7 juin 1974 – dernière page
Nice Matin
"Vous mentez !"
criait le témoin exaspéré par les dénégations de Christian Ranucci meurtrier de la petite Marie-Dolorès
MARSEILLE. - « Vous mentez ». Mme Aubert, confrontée pour la seconde fois avec Christian Ranucci, le témoin numéro 1 dans l'affaire de l'enlèvement et du meurtre de Marie-Dolorès, sait qu'elle dit la vérité. Les policiers présents savent qu'ils sont parvenus à un point de rupture dans le mécanisme de défense du suspect qu'ils interrogent depuis 15 heures.
- « Vous mentez, non seulement je vous ai bien vu, mais, en descendant de la voiture alors que mon mari vous poursuivait, vous tiriez par le bras une fillette et j'ai entendu les paroles de l'enfant. Elles restent gravées dans ma mémoire. Elle vous a dit : « Où va-t-on ? Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? »
Ranucci, qui avait jusque-là tenu tête aux enquêteurs, s'affole, balbutie quelques paroles incompréhensibles, puis il s'effondre.
- Je ne comprend pas, répète-t-il plusieurs fois, avant de passer aux aveux complets.
Il reconnait tout : l'enlèvement de Marie-Dolorès Rambla et le meurtre de cette enfant de 8 ans. Il avait auparavant avoué être l'auteur de l'accident de voiture qui a causé sa perte. « Mais, disait-il, il n'y avait personne, à ce moment-là, à mes côtés ».
Un moment de doute
Un instant, pourtant, au cours de la matinée d'hier on avait pu croire que Ranucci n'était pas l'auteur de ce meurtre horrible. Le petit frère de Marie-Dolorès, Jean Rambla, 6 ans, qui avait assisté à l'enlèvement lundi matin alors qu'il se trouvait avec sa soeur dans le parc de la cité Sainte-Agnès, à Marseille, où demeurent ses parents, n'avait pas reconnu en Ranucci l'inconnu qui lui avait demandé de rechercher son chien noir. En outre, mis en présence, dans la cour de l'hôtel de police, de plusieurs véhicules, dont la « 304 » de Christian Ranucci, il avait désigné une voiture appartenant à un policier qui n'avait aucun rapport avec la « Simca » dont il avait parlé le premier jour.
Peu après, lors d'une première confrontation, M. et Mme Aubert, commerçants toulonnais, n'avaient pas, eux non plus identifié Christian Ranucci. Et leur témoignage était capital.
A 13 h 30, mercredi, M. Aubert téléphonait au conmmissaire Alessandra, chargé de l'enquéte, en lui disant notamment ceci :
« Lundi de Pentecôte, vers 10 h 30, j'étais en voiture avec mon épouse dans la région aixoise au lieu dit « la Pomme », près de Gréasque. J'ai assisté à une collision de véhicules. L'auteur de l'accident, qui avait brûlé un « stop » et qui pilotait un « coupé Peugeot », prit la fuite. Je me lançai à sa poursuite. Au bout de quelques kilomètres le coupé stoppa, je vis le conducteur descendre et gravir la colline toute proche, il emmenait avec lui une petite fille. Mon épouse ne voulut pas que je suive à pied le chauffard, elle redoutait une bagarre. Je revins sur les lieux de l'accident pour communiquer au second automobiliste accidenté (M. Vincent Martinez, domicilié à Aups) le numéro minéralogique de la « Peugeot ». Ce dernier alla déposer une plainte pour délit de fuite à la brigade de gendarmerie de Gréasque. »
M. Vincent Martinez, maitre d'Internat à Brignoles : sa voiture a été heurtée par celle de Ranucci. (Repr. Bernabo)
Le même short
M. Aubert ajoutait: « C'est seulement mercredi matin, en lisant le journal, que j'ai fait un rapprochement entre cet accident, le chauffard et l'enlèvement de la fillette, d'autant que l'enfant portait un short blanc, exactement comme Marie-Dolorèe. »
Le commissaire Alessandra alerta alors les gendarmes de Gréesque qui découvrirent, à l'endroit même où M. Aubert avait vu s'enfuir le chauffard, le corps de Marie-Dolorès.
Pratiquement la jeune Marie-Dolorès est morte à quelques mètres de M. Aubert. « il est possible, ont dit les représentants de l'ordre, que si M. Aubert avait poursuivi Ranucci, il aurait pu sauver la petite Dolorès. Mais il n'est pas exclu qu'il aurait été lui-même victime du tueur qui semblait à ce moment-là au paroxysme d'une crise de violence ».
A propos de la personnalité de Christian Ranucci, le commissaire Jacques Cubaynes, chef de la Sûreté, a précisé : « Le caractère odieux et anormal de ce crime pose un problème Mais je vous mets en garde quant à la tentation immédiate de juger ce comportement. Ce sera une affaire de spécialistes ».
« Je voulais la ramener »
La première confrontation n'ayant rien donné, les policiers décidèrent hier, en fin de matinée, de remettre à nouveau face à face Ranucci et Mme Aubert. On sait ce qu'il en advint.
On a appris également, de la bouche même de ce jeune homme de 20 ans, ce qui s'est passé.
- J'étais venu à Marseille voir un ami, a-t-il raconté. Je ne l'ai pas trouvé. J'ai un peu roulé dans la ville.
C'est ainsi qu'il a « repéré » Marie-Dolorès dans le parc de la cité Sainte-Agnès. Il enleva la fillette en écartant son frère et l'emmena dans sa voiture. « C'était juste pour faire une promenade. J'avais l'intention de la ramener le soir-même », affirme-t-il.
Deux heures plus tard, il la frappait de plusieurs coups de poignard à la gorge avant de la défigurer à coups de pierre, et l'abandonnait dans le petit bois de la commune de Peypin où elle fut découverte.
L'autopsie a démontré qu'il ne l'avait pas violée.
- J'ai agi dans l'affolement, assure-t-il. Après l'accident j'ai perdu la tête. J'ai craint de ne pouvoir me justifier lorsqu'on m'accuserait d'avoir enlevé l'enfant pour lui faire subir des violences.
Des cheveux noirs
Les policiers, qui n'ont pas encore retrouvé le couteau, ont toutefois en leur possession des indices matériels qui confirment ces aveux. Ils ont découvert dans le « coupé 304 » le pantalon que Ranucci portait le jour du meurtre et sur lequel on a relevé des traces de sang. Une analyse devrait rapidement en déterminer l'origine, comme celle des cheveux noirs que les experts du laboratoire de police technique ont recueillis à l'intérieur du véhicule.
Enfin, dans la voiture ils ont récupéré un martinet à longues lanières, dont le manche comporte une dragonne. Un martinet, instrument souvent utilisé par certains sadiques.
Les aveux de Christian Ranucci ont eu pour effet de faire abréger la garde à vue. Solidement encadré, le meurtrier de la jeune Marie-Dolorès a été conduit, hier soir, au parquet de Marseille pour être présenté à Mme Di Marino, juge d'instruction chargée de l'affaire, qui l'a inculpé d'enlèvement de mineure de moins de 15 ans et d'homicide volontaire. Il risque la peine de mort.
Avant de quitter l'hôtel de police, le commissaire Alessandra a autorisé la mère du jeune meurtrier à embrasser son fils.
Par mesure de précaution et pour éviter toute contestation possible, les policiers ont fait procéder à un examen médical du jeune criminel.
Son camarade de travail:
«Mardi il était préoccupé
par la lecture du journal»
La mère de Christian Ranucci, qui ignorait encore avant-hier soir la véritable raison de l'interpellation de son fils, a été mise, hier matin, devant la tragique réalité. Elle a appris par les journaux, que son fils unique qu'elle entourait de son affection et à qui elle faisait une totale confiance, était soupçonné du crime affreux d'une petite fille de 8 ans.
C'est dans un état de grand désespoir que les inspecteurs de la P.J. agissant sur délégation de la commission rogatoire délivrée à la Sûreté urbaine de Marseille trouvèrent la mère de Ranucci à son domicile, Terrasses des Corniches-Fleuries, à Nice. Il s'agissait pour les policiers niçois de procéder à une perquisition dans l'appartement.
A la demande du magistrat instructeur marseillais, la mère de Ranucci a été conduite à Marseille par les inspecteurs de la police judiciaire de Nice pour être entendue dans le cadre de l'enquête.
Sur la porte de son appartement, elle a laissé un avis pour informer les familles qui lui confiaient la garde de leurs enfants qu'elle serait absente pendant 48 heures.
Dans le voisinage. Christian Ranucci était considéré comme un garçon «très gentil, très doux, un peu réservé et timide, rougissant facilement», et sa mère nous avait déclaré mercredi soir qu'il lui avait été difficile de s'adapter à la vie militaire. Il se plaignait notamment de l'incompréhension de ses supérieurs.
Lorsque sa mère était obligée de s'absenter, c'était lui qui s'occupait des enfants qu'elle avait en garde et il se comportait avec eux de façon tout à fait normale.
Christian Ranucci avait été employé comme représentant, il y a peu de temps, par M. J. Cotto, électricien 139, route de Marseille, à Nice.
« Nous ne pouvons pas porter un jugement sur lui, affirme son employeur, nous ne le connaissions que depuis 15 jours».
Comme nous l'avons signalé hier, il avait repris son travail normalement mardi matin.
L'employé des établissements Cotto qui l'accompagnait dans sa tournée fut surpris cependant que la chose qui le préoccupait le plus était la lecture du journal, alors que la semaine précédente il ne portait aux nouvelles qu'un intérêt relatif.
Christian Ranucci avait expliqué à ses patrons les dommages causés à la carrosserie de sa voiture de la façon suivante : « Il m'est arrivé un accident stupide. Alors que j'allais voir un ami à Salernes, dit-il, un chien a traversé la route et, pour l'éviter, j'ai heurté un arbre ».
M. Cotto accepta cette explication. Mais il commença à douter de sa sincérité lorsque les gendarmes se présentèrent chez lui, mercredi à 16 heures, pour demander des renseignements sur son nouvel employé.
Personne dans son entourage ne pouvait imaginer que ce grand garçon timide se signalerait un jour à l'opinion publique, par un crime aussi horrible. Il appartiendra sans doute aux psychiatres de déterminer les causes profondes de son comportement criminel.
P.-F. LEONETTI.
Avant-hier soir, la mère de Christian Ranucci qui ignorait tout des graves soupçons qui pesaient sur son fils, était tout de même étonnée qu'un banal accident prenne de telles proportions.
(Photo Castiès)
Samedi 8 juin 1974 – première page
Poignantes obsèques de
Marie-Dolorès à Marseille
La cérémonie s’est déroulée en présence d’une foule considérable
Samedi 8 juin 1974 – dernière page
Après les aveux complets de Christian RANUCCI
Les policiers ont retrouvé l'arme du crime: un couteau à cran d'arrêt
MARSEILLE. - Sur les indications précises fournies à la police par l'assassin de Marie-Dolorès, les gendarmes, au cours d'un ratissage, ont retrouvé, hier, l'arme du crime. Il s'agit d'un petit couteau de poche à cran d'arrêt qui a été retrouvé à l'endroit exact désigné par Christian Ranucci et où il l'avait jeté après son horrible forfait.
Ce couteau se trouvait à l'entrée de la champignonière de Gréasque où, dans sa fuite précipitée, après son forfait, il s'était embourbé.
La découverte de ce couteau est une pièce à conviction irréfutable qui se trouve maintenant aux mains de la justice.
Bouleversantes obsèques
Les obsèques de Marie-Dolores Rambla se sont déroulées hier après-midi à 15 heures au cimetière St-Pierre à Marseille, en présence d'une nombreuse assistance évaluée à 1.500 personnes. Autour du père, M. Pierre Rambla se pressaient des parents, des amis de la famille, ainsi que des voisins. Beaucoup d'enfants, dont les camarades de classe de la victime étaient également présents.
Un conseiller municipal, M. Lucien Weygand, représentant M. Gaston Defferre, député-maire de Marseille, ansi que M. Edouard
Heyraud, représentant le Conseil général des Bouches-du-Rhône, ont aussi assisté à la cérémonie qui a eu lieu dans la chapelle du cimetière. Le service funèbre a été célébré par le père Joseph, vicaire du quartier des Chartreux, où demeure la famille de Marie-Dolores Rambla. D'abord en espagnol, puis en français, le prêtre a adressé des paroles de réconfort au père et aux parents de la disparue. De son côté, le père Magnan a lu un message de sympathie de Mgr Roger Etchegaray, archevêque de Marseille évoquant « le profond bouleversement dans les consciences humaines » causé par ce drame. « Puisse cette douleur ne pas faire entrer la haine dans nos coeurs », dit également l'archevêque dans son message.
Après la bénédiction, au moment de la levée du corps, M. Pierre Rambla a été victme d'un malaise et a dû être ramené chez lui.
Placé dans un fourgon, le cercueil de Marie-Dolores a été conduit au dépositoire en attendant d'être placé dans un caveau définitif, mis à la disposition de la famille par la municipalité marseillaise.
"Je ne suis ni un anormal ni un sadique..."
C'est une tâche ardue qui attend maintenant les juges et les médecins. La personnalité du meurtrier de la petite Marie-Dolores Rambla est, en effet, difficile à cerner. Pour tout ceux qui l'approchaient, c'était un garçon gentil «qui n'aurait pas fait de mal à une mouche». Et pourtant, il a tué, d'une manière atroce. Il a d'abord frappé à la gorge avec un couteau. Puis, il a achevé et défiguré sa victime avec une pierre, abandonnant son cadavre dans un bois.
Les juges et les psychiatres auront à déceler les mobiles véritables qui ont poussé le jeune Christian Ranucci à assassiner la petite Marie-Dolores.
« Je ne suis ni un anormal, ni un sadique», a-t-il dit au policiers. « C'était un acte de folie. »
Et d'ajouter :
« J'étais comme une bête traquée. L'accident m'a fait perdre l'esprit. Je demande sincèrement pardon aux parents de la petite. »
Sa dernière réaction avant de quitter l'hôtel de police pour être placé sous mandat de dépôt a été de dire : « J'ai toute ma vie pour payer. »
Peut-être cherchera-t-on dans le passé de Ranucci un semblant d'explication : ses parents sont divorcés. Sa mère l'a élevé comme une fille. Elle le reconnaît elle-même. D'un amour exclusif et aveugle.
Le père était un baroudeur violent et coléreux que l'on fuyait. La mère et le fils ont déménagé trente fois pour échapper à ses poursuites, à Avignon, d'abord, dans l'Isère ensuite et, finalement, Nice, dernier refuge. Un être brutal, qui n'a, parait-il, jamais désiré Christian et qui a même souvent songé à s'en « débarrasser ».
C'est dans ce climat qu'a baigné celui qui devait devenir un meurtrier. Qu'a-t-il fait après son crime ? II est resté chez lui, à Nice, et le soir, il a dîné de fort bon appétit, puis il a regardé la télévision. Le lendemain, il reprenait son travail, comme si rien ne s'était passé.
Il aura fallu quinze heures d'interrogatoire pour qu'il « craque ,,et encore parce qu'une femme l'a accablé.
Samedi 15 juin 1974 – page intérieure
Mardi 25 juin 1974 – première page
RECONSTITUTION DU MEURTRE DE MARIE-DOLORES
Ranucci s’est effondré sur les lieux du drame
Ranucci (au second plan, à droite) pendant la reconstitution (Photo G.Castiès)
Mardi 25 juin 1974 – dernière page
Reconstitution du meurtre
de la petite Marie-Dolorès :
Ranucci s’est effondré en pleurant
MARSEILLE. - Trois semaines après avoir enlevé et assassiné la petite Marie-Dolorès Rambla, Christian Ranucci a été ramené sur les lieux du drame par le juge d'instruction, Mlle Di Marino, pour une reconstitution. Mais pour ce qui concerne le meurtre proprement dit de la fillette, Ranucci s'est enfoncé dans le plus profond mutisme, se cantonnant dans des formules du genre : « Je ne me souviens plus, j'ai oublié, peut-être ».
La première phase de la reconstitution a eu lieu au carrefour des R.N. 98 et 8 bis à La Pomme, où Ranucci, au volant de sa 304 avait percuté la voiture d'un étudiant et s'était enfui, poursuivi par un automobiliste témoin de l'accident. Il s'agissait de savoir si, au moment où il était parvenu à ce carrefour, Ranucci avait l'intention de continuer sur Nice ou bien si, comme il l'a affirmé, il voulait revenir à Marseille, pour y ramener la fillette. Les témoins de l'accident, les époux Albert, étaient présents. Il est apparu que c'était bien vers Nice qu'il voulait partir avec Marie-Dolorès.
Le juge et l'inculpé, protégé par un très important quadrillage de gendarmes se sont ensuite rendus sur la colline où Ranucci poignarda la fillette, puis la défigura à l'aide d'une pierre, et comme Mlle Di Marino, faute de pouvoir obtenir des réponses correctes du meurtrier, lui présentait des photos de sa victime morte, puis un morceau de bois symbolisant le petit couteau à cran d'arrêt, Ranucci s'est effondré en pleurant.
Peu
de renseignements
Enfin, Christian Ranucci a été conduit à la Champignonnière de Grasque (Bouches-du-Rhône) où il s'était rendu, après le meurtre, avec sa voiture et avait jeté le couteau dans une flaque de boue. Il s'était enlisé avec sa voiture et un agriculteur voisin, qui l'avait dégagé avec son tracteur, l'avait trouvé «souriant et décontracté». Mais cette troisième phase de la reconstitution n'a pas non plus, semble-t-il, permis d'obtenir de nouveaux renseignements de l'inculpé.
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