Citation :
Tassé sur sa chaise, l'accusé est prêt à toutes les confirmations et infirmations qu'on voudra bien lui faire signer, pourvu qu'on le laisse en paix. Sa crainte des policiers confine à la terreur; aussi entreprend-il de décrire le crime auquel il n'a pas participé, puisque c'est là la condition sine qua non pour échapper aux mauvais traitements que lui infligent les enquêteurs.
Il va donc décrire les différentes étapes du crime, de la préméditation à l'aboutissement, et il se trouve que son récit correspondra en tout point (...) .La reconstitution du forfait n'est pas difficile, même pour quelqu'un d'aussi peu imaginatif. Les questions desgendarmes contiennent déjà leurs réponses, et le désir qu'ils ont de " coincer " les coupables fausse constamment la validité des interrogatoires. La plupart du temps, il suffit à l'accusé de répondre par " oui " aux questions qu'on lui pose. Au fond, les gendarmes lui racontent son crime et il ne fait qu'acquiescer. Pour finir, on lui fait dresser un plan de la maison." Combien y a-t-il de pièces dans la maison ?
-Je ne sais pas
-Tu sais bien qu'il y a deux pièces, poursuivent les gendarmes. Et la cheminée ? "
Comme il ne sait pas répondre, on lui suggère qu'elle se trouve à droite de la fenêtre. Le plan fini, on lui demande s'il est exact. " En tout point ", répond-il.
Il ne reste plus dès lors qu'à le faire signer. Tous les interrogatoires subis se sont passés à l'avenant. Les gendarmes ont leur coupable. Le magistrat, cependant, veut s'assurer de la validité des aveux du coupable, et décide de tenter une honnête expérience. A quelques kilomètres du village du crime, il fait engager la voiture sur une mauvaise route, puis il demande :
" Est-ce bien le chemin ?
-Non, répond celui-ci, il fallait prendre à droite. "
Preuve est faite, pour l'accusation, que les aveux n'ont pas été extorqué alors que l'inculpé soucieux surtout d'en finir avec les interrogatoires, surveille chacune de ses paroles et chacun de ses gestes. Il a remarqué qu'un policier est descendu peu avant pour demander la route à une femme et, d'après ses gestes, a compris qu'elle disait de tourner à droite. A proximité du village de La Plaine-sur-Mer, on le fait descendre de voiture. Il s'oriente sans hésiter vers la maison. Là non plus, la difficulté n'est pas bien grande: les badauds sont massés sur le parcours jusque devant la maison
Ceci était une brève relation concernant l'affaire Deshays, 1949, où on le condamna à tort. A méditer.
Me Floriot donnera son point de vue, lequel pourrait servir de moralité à cette histoire :
" Vous n'empêcherez jamais la justice de frapper, car elle a deux convictions: d'abord, il faut obtenir des aveux d'un prévenu; ensuite, s'il n'avoue pas, il faut le conditionner pour qu'il le fasse. Dans la lamentable erreur du procès Deshays, tout le monde a été de bonne foi, tout le monde était sincère: ceux qui croyaient à sa culpabilité, ceux qui n'y croyaient pas. "
Bien entendu, peu de gens ici peuvent dire s'il y a un risque que l'interrogatoire de Ranucci se soit passé ainsi...
J'en reviens à ce que nous indique GBouladou page 88, précisant que le 6 juin à midi, les policiers avaient ETABLI que Ranucci était l'auteur de l'enlèvement...