Les tueries du Brabant (1982-1985)

 

Octobre 2004. Une meute impressionnante de journalistes belges se bouscule autour du périmètre de sécurité établi par la police fédérale dans le bois de la Houssière sur le territoire de Braine-le-Comte. Ils assistent, impatients ou impassibles, au ballet incessant d’une pelleteuse entourée des enquêteurs et des magistrats instructeurs de la cellule d’enquête de Jumet ainsi que des membres de la DVI (cellule d’identification des victimes). Ces hommes sont à la recherche du corps du chef des " tueurs du Brabant ". De nouveaux témoignages et une relecture attentive du dossier criminel laissent en effet penser que le principal membre de la bande aurait été abattu par la police lors de la dernière attaque à Alost en 1985. Ses complices n’auraient pas eu d’autre choix que de l’enterrer dans ce bois à quelques centaines de mètres du l’endroit où ils abandonnèrent, incendiée, la Golf gti utilisée pour cette attaque. Les fouilles ne donneront rien. Elles auront au moins eu le mérite de rappeler aux Belges que l’enquête sur les tueurs du Brabant continue envers et contre tout. Deux décennies après les faits, les questions essentielles restent lancinantes : Qui étaient-ils ? Que voulaient-ils ?


Le chef de la bande fut-il abattu par la police le 9/11/1985 ?

 

 

Les années de plomb

Les tueurs du Brabant. Ce nom restera en Belgique synonyme d’une brutalité inouïe et aveugle jamais connue dans les annales judiciaires du petit Royaume. Les tueries du Brabant, ce sont une quinzaine d’attaques et de hold-ups commis entre 1982 et 1985, 28 morts dont des femmes et des enfants et un butin peu important. Les auteurs restent inconnus à l’heure actuelle.

 

 

Leurs premiers méfaits restèrent très discrets : le vol de l’une ou l’autre voiture et le vol sans violence d’un fusil dans une armurerie à Dinant. La première affaire sérieuse dans laquelle ils furent impliqués fut le cambriolage d’une épicerie à Maubeuge (France) le 13 août 1982. Surpris par la police, ils quittent les lieux à bord d’une Santana non sans avoir riposté aux forces de l’ordre qui comptèrent un blessé parmi leur rang. Les tueurs du Brabant furent coutumiers par la suite de ces affrontements avec la police ou la gendarmerie.

Cette Santana fut utilisée par la suite pour commettre un hold-up dans une armurerie à Wavre. Violemment, les malfrats s’emparent de plusieurs armes et abattent un policier communal qui voulait intervenir. Ils abandonnent par la suite leur automobile dans une forêt proche de Bruxelles. Les premiers enquêteurs vont y découvrir plusieurs éléments matériels dont une mystérieuse carte de stationnement, jamais identifiée à ce jour. Son identification pourrait peut-être mener aux auteurs.

Qui reconnaît cette carte ?

 

L’année 1982 se terminera par le cambriolage d’une auberge proche du château de Beersel. Son concierge y est torturé et abattu de plusieurs balles dans la tête. Des documents lui seront dérobés.

En janvier 1983, le corps d’un chauffeur de taxi est retrouvé dans le coffre de son véhicule professionnel. Il a été abattu avec la même arme que le concierge de Beersel.

Les tueurs se livreront ensuite à leur activité favorite : l’attaque brutale de supermarchés. Ils s’attaqueront à deux enseignes Delhaize et à un supermarché Colruyt faisant 1 mort et 1 blessé. Les tueurs iront ensuite crescendo dans l’horreur. Le 10 septembre 1983, durant la nuit, ils pénètrent dans une firme textile fournissant notamment certaines forces de l’ordre et l’armée. Ils tuent sans hésitation le veilleur de nuit et blessent son épouse. Ils s’emparent de gilets pare-balles que l’on a prétendu révolutionnaires. Quelques jours plus tard, ils se livrent au cambriolage nocturne du supermarché Colruyt à Nivelles. Surpris, semble-t-il, par l’arrivée d’un couple à bord d’une Mercedes, ils les prennent pour cible. Le couple trouvera la mort. Une patrouille de gendarmerie alertée par l’alarme du supermarché va tomber nez à nez avec la bande. Les deux gendarmes seront soumis à un tir nourri venant d’individus sans scrupules et très organisés. L’un des gendarmes sera tué et l’autre laissé pour mort. Ils quittent les lieux avec un butin ridicule non sans avoir blessé d’autres policiers les ayant pris en chasse. Cette affaire reste un mystère. Pourquoi les tueurs ont-ils pris la peine de prendre avec eux une dizaine de calibres différents simplement pour dévaliser un supermarché ? Certains se sont interrogés : et si cette attaque n’avait été qu’une mise en scène destinée à assassiner le couple de la Mercedes ? Des procès-verbaux établis par la suite ont démontré que le couple en question aurait été en possession de documents importants et peut-être même d’une cassette vidéo montrant des faits de mœurs impliquant des personnalités connues. Cambriolage ou exécution ?

Plus tard, à Ohain, les tueurs s’emparent de la Golf gti du propriétaire de l’auberge des Trois canards. Il sera abattu sans raison d’une balle dans la tête. C’est à bord de cette Golf (repeinte) qu’ils s’attaqueront à un supermarché Delhaize à Beersel en abattant froidement le gérant.

Devant une telle brutalité, la PJ et le BSR (service de recherches de la gendarmerie) seront pris au dépourvu. Les forces de l’ordre seront confrontées à une nouvelle forme de criminalité extrême où la vie humaine est dérisoire. Aucune piste sérieuse, peu d’éléments matériels, des témoins quand il en existe confus ou trop terrorisés pour en tirer une information exploitable. C’est un hasard qui va mettre les limiers sur la trace des tueurs du Brabant. Fin 1983, une arme est déposée à la gendarmerie par une femme battue craignant en effet que son mari l’utilise contre elle. Des tests balistiques seront pratiqués. L’expert désigné affirmera que l’arme a servi lors des attaques des supermarchés à Hal et Genval. Les enquêteurs vont remonter dès lors jusqu’à un ancien policier, Michel C., qui a détenu pendant longtemps cette arme de poing, un Rüger. C., après de longs interrogatoires, fera des aveux pour trois attaques attribuées aux tueurs et désignera plusieurs complices qui avoueront également. Mais les Borains (ils sont originaires du Borinage, une région sinistrée) se rétracteront par la suite. Ils resteront deux ans en prison en détention préventive. En 1988, ils seront acquittés par une cour d’Assises : selon les experts criminels allemands de la BKA, le Ruger P38 n’était pas celui utilisé lors des attaques de 1983.

Ces arrestations n’empêcheront pas les tueurs fous du Brabant wallon (comme la presse les désigna) de frapper une ultime fois en décembre 1983 en abattant un couple de bijoutiers à Anderlues.

En 1984, ce fut le silence.

1985 fut l’année la plus sanglante.

Le 27 septembre 1985, un vendredi soir de forte affluence avant le week-end dans les supermarchés, plusieurs individus masqués s’attaquent au Delhaize de Braine-l’Alleud. Ils sont armés de fusils à pompe (une arme qui frappera les imaginations) et d’un pistolet mitrailleur. Ils tirent sans réfléchir et tuent trois personnes et en blessent d’autres gravement. Puis, ils quittent les lieux et se lancent, chose inouïe, dans une seconde attaque à quelques dizaines de kilomètres de là. Leur cible est également un supermarché Delhaize à Overijse. Cinq personnes (dont un garçon de 13 ans) ne se relèveront pas… Les témoins parleront d’un homme de grande taille très calme. Il sera surnommé le géant.

 

Le géant. 1m90-1m95. Jamais identifié malgré la prime de 250 000 euros.

Quelques semaines plus tard, les tueurs vont atteindre le summum de l’horreur. A Alost, toujours dans un supermarché Delhaize, ils vont commettre un carnage indescriptible : 8 morts (parmi eux, une adolescente de 14 ans et une petite fille de 9 ans et son papa) et plusieurs blessés. Ils tuent sans raison et se font remettre le butin. Avant de quitter les lieux à bord d’une gti volée, ils font face à la police. Un policier communal se dit certain d’avoir touché un des auteurs. Sa mort a-t-elle mis un terme aux tueries ? Quoi qu’il en soit, les tueurs du Brabant ne feront plus parler d’eux.

Depuis lors, l’enquête est dans l’impasse totale. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché…

Plusieurs cellules d’enquête et plusieurs juges d’instruction ne compteront pas leurs heures pour découvrir la vérité. Ils se sont intéressés à une série de milieux " sensibles " : truands, anciens légionnaires, mercenaires, militants politiques extrémistes, amateurs de tir pratique, militaires, paramilitaires, membres ou ex-membres des forces de l’ordre,… Sans résultat tangible. Il a donc fallu examiner des hypothèses de travail intellectuellement séduisantes.

On a bien sûr dans un premier temps envisagé que le but essentiel des tueries était l’argent. De simples truands, des prédateurs comme le disait le procureur du Roi de Nivelles. Mais cette piste n’était pas du tout satisfaisante. La thèse politique a encore des adeptes : les tueurs du Brabant auraient été des militants d’extrême-droite désirant déstabiliser l’Etat de droit en Belgique afin de préparer un coup d’Etat. D’autres y ont vu la griffe de la CIA voulant obliger le gouvernement belge à muscler ses forces de sécurité durant cette période de guerre froide. On a également parlé d’exécution ciblée (certaines victimes semblaient en possession d’informations sur les ballets roses, une vieille affaire de mœurs). Le fait que la firme Delhaize fut souvent visée fait penser à un racket contre cette firme. Récemment des profileurs français ont remis leurs conclusions : les tueurs du Brabant auraient été des marginaux manipulés par un psychopathe.

Mais rien, jamais, n’a pu être prouvé. Malgré une prime de 250 000 euros offerte par les firmes de distribution. Aucune information n’a filtré, aucun témoin crédible ne s’est manifesté.

Une cellule d’enquête continue pourtant quotidiennement à effectuer des vérifications. Mais deux décennies après les faits, l’espoir de résoudre ce mystère reste mince. La prescription pour ces crimes est prévue pour 2015.

Liens utiles :

www.killersbrabant.be : Le site de la cellule d’enquête Brabant wallon (police fédérale belge)

http://tueriesbrabant.skynetblogs.be/ : Appel à témoins de la fille d’une des victimes

http://tueriesdubrabant.be.cx : forum de discussion consacré à l’affaire

Chaleureux remerciements à Michel Leurquin, rédacteur de cet article, spécialement pour le site www.justice-affairescriminelles.org, créateur du forum consacré à cette affaire http://tueriesdubrabant.be.cx