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Nice Matin
"Vous mentez !"
criait le témoin exaspéré par les dénégations de Christian Ranucci meurtrier de la petite Marie-Dolorès
MARSEILLE. - « Vous mentez ». Mme Aubert, confrontée pour la seconde fois avec Christian Ranucci, le témoin numéro 1 dans l'affaire de l'enlèvement et du meurtre de Marie-Dolorès, sait qu'elle dit la vérité. Les policiers présents savent qu'ils sont parvenus à un point de rupture dans le mécanisme de défense du suspect qu'ils interrogent depuis 15 heures.
- « Vous mentez, non seulement je vous ai bien vu, mais, en descendant de la voiture alors que mon mari vous poursuivait, vous tiriez par le bras une fillette et j'ai entendu les paroles de l'enfant. Elles restent gravées dans ma mémoire. Elle vous a dit : « Où va-t-on ? Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? »
Ranucci, qui avait jusque-là tenu tête aux enquêteurs, s'affole, balbutie quelques paroles incompréhensibles, puis il s'effondre.
Je poursuis l'examen de ces articles de Nice-Matin. Celui-ci est signé de Pierre-François Leonetti, mais la question pourrait rester posée de savoir s'il était lui-même dans les locaux de l'évêché. La veille on le sait, il était avec Mme Mathon et un photographe du journal, à regarder la voiture avant qu'elle ne soit saisie par les enquêteurs de Marseille. Il est bien possible que le lendemain matin, il se soit rendu à l'Evêché pour obtenir d'autres informations.
Je me pose la question puisque les propos qui sont rapportés sont assez précis. De qui les tient-il ? Encore une fois des enquêteurs, ou peut-être des collègues. Mais ils semblent provenir d'une source très proche de l'enquête comme on dit. Et ils ne laissent pas de surprendre : Mme Aubert prétend que Ranucci tirait l'enfant par le bras.
Ce n'est pas du tout ce qu'elle dit aux enquêteurs dans son PV, elle dit aux enquêteurs qu'il faisait descendre la gamine et qu'elle n'était pas effrayée.
Ensuite, le dialogue est incroyable : qu'est-ce que vous allez faire de moi ? aurait dit la gamine à Ranucci. Donc elle est effrayée. Donc Madame Aubert n'a pas dit du tout ce qui est retranscrit dans le PV de son audition. Elle a dit autre chose, de beaucoup plus inquiétant.
Et là se pose une question : pourquoi n'est-elle pas intervenue ? Mais enfin ? Ranucci n'était pas armé (a part le cran d'arrêt qu'on lui fourre dans la poche in petto).
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- Je ne comprend pas, répète-t-il plusieurs fois, avant de passer aux aveux complets.
Il reconnait tout : l'enlèvement de Marie-Dolorès Rambla et le meurtre de cette enfant de 8 ans. Il avait auparavant avoué être l'auteur de l'accident de voiture qui a causé sa perte. « Mais, disait-il, il n'y avait personne, à ce moment-là, à mes côtés ».
On comprend dés lors que Ranucci ne comprenne pas. Tout ce qui se déroule devant lui est absurde. Ranucci reconnaîtrait donc avoir entraîné la gamine dans les fourrés, mais il ne dit pas : oui je vous ai vu. Donc résumons : madame Aubert prétend avoir vu Ranucci à quelques mètres, mais Ranucci lui, n'aurait rien vu.
Alors je dois dire que ce problème est si aigu que Gérard B. jamais à court d'explication nous en propose une : si Ranucci n'a pas vu les Aubert arriver en voiture et s'arrêter à quelques mètres de lui alors que dans le même temps il avait peur d'être repéré et que c'est pour cela qu'il a balancé 15 coups de couteau, c'est qu'il était aveuglé par un "raptus criminel".
Le problème, c'est que l'enquête n'évoque jamais cette hypothèse. Et d'ailleurs ne se pose jamais le problème, ne se pose jamais la question.
La véritable question, c'est : est-ce que le journaliste a inventé ce dialogue ? l'a-t-il déformé ? Inventé : pas possible, il faut bien que quelqu'un lui rapporte les raisons pour lesquelles soudain, Ranucci se met à avouer ce qu'il niait depuis 15 heures.
Déformé ? En fait non plus dans la mesure où l'on comprend que les enquêteurs tentent de démontrer que c'est bien Ranucci le ravisseur et donc qu'il a une véritable attitude de ravisseur : c'est-à-dire qu'il force lagamine. Eton cache aux journalistes que ce n'estpas cela qui est écrit : il est écrit qu'il partait en ballade avec elle, qu'elle n'est pas effrayée, qu'elle monte sur le talus de son plein gré.
Tout cela est crédible bien sûr.
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Un moment de doute
Un instant, pourtant, au cours de la matinée d'hier on avait pu croire que Ranucci n'était pas l'auteur de ce meurtre horrible. Le petit frère de Marie-Dolorès, Jean Rambla, 6 ans, qui avait assisté à l'enlèvement lundi matin alors qu'il se trouvait avec sa soeur dans le parc de la cité Sainte-Agnès, à Marseille, où demeurent ses parents, n'avait pas reconnu en Ranucci l'inconnu qui lui avait demandé de rechercher son chien noir. En outre, mis en présence, dans la cour de l'hôtel de police, de plusieurs véhicules, dont la « 304 » de Christian Ranucci, il avait désigné une voiture appartenant à un policier qui n'avait aucun rapport avec la « Simca » dont il avait parlé le premier jour.
On a ici la démonstration mathématique que le journaliste prend ses sources auprès des enquêteurs. Et à ce moment, les enquêteurs sont bien embêtés. Depuis le début on parle d'une simca. Et on imagine très bien Pierre-François Leonetti dire aux enquêteurs : mais c'est bizarre, tous mes collègues : Roger Arduin, Alex Panzani, Pierre Berard etc... me disent que Jean Rambla a parlé d'une simca 1100. Ils me le disent tous. Et la voiture de ranucci c'est un coupé peugeot ? Expliquez-moi.
Réponse des enquêteurs : on l'a mis devant la voiture de Ranucci (on gomme le fait qu'il ne reconnaît pas dans le coupé accidenté la voiture qu'il a vu deux jours plus tôt à quelques mètres de lui) et il a montré une voiture qui n'a rien à voir avec la simca 1100 dont il avait parlé le premier jour.
Ce faisant les enquêteurs reconnaissent qu'il a bien parlé d'une simca 1100, que ce n'est pas seulement aux journalistes qu'il a dit cela, mais aux enquêteurs aussi.
Et ce sur quoi les enquêteurs n'insistent pas, c'est que l'enfant a désigné quoi : "une simca de type chrysler". Il a désigné la même marque, même si ce n'est pas la même voiture.
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Peu après, lors d'une première confrontation, M. et Mme Aubert, commerçants toulonnais, n'avaient pas, eux non plus identifié Christian Ranucci. Et leur témoignage était capital.
Alors Pierre-françois Leonetti a-t-il inventé cela ? Le fait que lors d'une première confrontation les Aubert n'ont pas reconnu Ranucci ?
Impossible, les journalistes inventent pour combler un élément qu'ils ne possèdent pas, on invente un parc parce qu'on situe l'image de l'enlèvement de cette façon alors qu'on n'a pas été voir sur place à quoi ressemblait la cité Sainte-Agnès. Mais là, pouvait-il inventer cette confrontation négative ? Non, puisque tous les éléments du scénario par ailleurs sont complets : il a la scène de Mme Aubert dans le bureau accusant Ranucci, comme si elle l'avait reconnu. Scène précise s'il en est, qui suffira amplement à gaver l'appétit de ses lecteurs.
Or madame Aubert joue la comédie, madame Aubert ment à Ranucci, elle ne l'a pas reconnu la première fois où elle a été confrontée à lui.
Donc la première confrontation négative, elle existe bel et bien et ce sont les enquêteurs qui l'ont transmis à ce journaliste. Personne d'autre pouvait le faire.
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A 13 h 30, mercredi, M. Aubert téléphonait au conmmissaire Alessandra, chargé de l'enquéte, en lui disant notamment ceci :
« Lundi de Pentecôte, vers 10 h 30, j'étais en voiture avec mon épouse dans la région aixoise au lieu dit « la Pomme », près de Gréasque. J'ai assisté à une collision de véhicules. L'auteur de l'accident, qui avait brûlé un « stop » et qui pilotait un « coupé Peugeot », prit la fuite. Je me lançai à sa poursuite. Au bout de quelques kilomètres le coupé stoppa, je vis le conducteur descendre et gravir la colline toute proche, il emmenait avec lui une petite fille. Mon épouse ne voulut pas que je suive à pied le chauffard, elle redoutait une bagarre. Je revins sur les lieux de l'accident pour communiquer au second automobiliste accidenté (M. Vincent Martinez, domicilié à Aups) le numéro minéralogique de la « Peugeot ». Ce dernier alla déposer une plainte pour délit de fuite à la brigade de gendarmerie de Gréasque. »
Là, le journaliste se trompe : le mercredi 5 à 13h30 Alain Aubert aurait appelé le commissaire Alessandra ?
Il n'a aucune raison de le faire. À ce moment là, il est en communication avec la gendarmerie de Gréasque. Donc, le journaliste attribue aux policiers ce qui relève en fait des gendarmes. Mais, à la lecture on voit bien qu'il s'agit du second coup de fil aux gendarmes, quelque peu maquillé pour faire coller au témoignage du 6.
Car en fait, le journaliste tient l'information des policiers, et, guéguerre oblige peut-être, on fait comme si les gendarmes n'avaient aucun rôle dans l'histoire des Aubert. Peut-être parce que l'on veut gommer les divergences de ce témoignage entre le 5 et le 6.
De même, on voit très clairement l'absurdité du témoignage Aubert, ce qui ne frappe pas véritablement le sens logique du journaliste : il y a quand même un problème : voilà des gens qui prétendent voir une gamine martyrisée par un adulte, qui ne font rien et qui, disent-ils : "craignent une bagarre" ? Mais une bagarre avec la gamine de 8 ans ? Une bagarre avec le type alors qu'il est avec une enfant ? Cela n'a pas de sens.
De même il est prétendu que les Aubert suivent la voiture et qu'ils la voient s'arrêter. Ce qu'ils ne disent jamais aux enquêteurs. En fait on fait comme s'ils n'avaient jamais perdu la voiture des yeux. Ce qui est rigoureusement impossible.
Alors voilà, ils ont vu une gamine enlevée par un homme et tout se finit en pipi de chat : par un délit de fuite.
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Le même short
M. Aubert ajoutait: « C'est seulement mercredi matin, en lisant le journal, que j'ai fait un rapprochement entre cet accident, le chauffard et l'enlèvement de la fillette, d'autant que l'enfant portait un short blanc, exactement comme Marie-Dolorès. »
L'article est intéressant parce qu'il démontre clairement où se trouve la supercherie. M. Aubert, tel que le rapportent les enquêteurs à ce journaliste, a vu qu'on parlait d'enlèvement dans le journal du mercredi matin. Et paraît-il, il aurait reconnu le short blanc de la gamine !!!!!
Déjà, il se trompe de date, le premier coup de fil d'Alain Aubert, il date du 4 !!!! Du mardi, pas du mercredi, autrement dit, les enquêteurs ont oublié de préciser au journaliste que Aubert avait appelé dès le mardi les gendarmes. M. Aubert découvre l'affaire dans les journaux dès le mardi.
Mais alors on ne comprend plus : quand M. Aubert téléphone la première fois aux gendarmes, le mardi, parce qu'il a entendu qu'on parlait d'un enlèvement : il ne dit pas qu'il a vu une enfant et qu'il a même reconnu le short blanc, exactement le même dit-il ?
Et les gendarmes ne se précipitent pas aussitôt pour le faire venir sur les lieux et se mettre à fouiller ? Ca ne marche pas cette affaire.
Et il est capable en quelques secondes de reconnaître "exactement" un short blanc mais pas de reconnaître s'il s'agit d'un garçon ou d'une fille ?
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Le commissaire Alessandra alerta alors les gendarmes de Gréasque qui découvrirent, à l'endroit même où M. Aubert avait vu s'enfuir le chauffard, le corps de Marie-Dolorès.
Pratiquement la jeune Marie-Dolorès est morte à quelques mètres de M. Aubert. « il est possible, ont dit les représentants de l'ordre, que si M. Aubert avait poursuivi Ranucci, il aurait pu sauver la petite Dolorès. Mais il n'est pas exclu qu'il aurait été lui-même victime du tueur qui semblait à ce moment-là au paroxysme d'une crise de violence ».
Et la supercherie continue allègrement. Les enquêteurs font croire qu'ils ont maîtrisé le processus depuis le début et le journaliste recopie fidèlement.
On sait ce qu'il en est en fait, ce sont les gendarmes que M. Aubert appelle, ce sont les gendarmes qui rappellent M. Aubert le 5, et ce sont les gendarmes qui décident le 5, de faire une battue. Et leur seul interlocuteur à ce moment là, c'est la juge d'instruction. Et les propos de M. Aubert sont vagues, la preuve, on ne le fait pas venir sur les lieux. Finalement les enquêteurs de la sûreté nous refont le coup de Jean Cocteau : "puisque ces évènements nous dépassent, feignions d'en être les organisateurs."
Alors on aboutit à cette absurdité, qui encore une fois ne frappe pas vraiment le journaliste : comment les Aubert ont-ils pu assister à quelques mètres d'eux à cette boucherie sans n'avoir entendu aucun bruit ?
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À propos de la personnalité de Christian Ranucci, le commissaire Jacques Cubaynes, chef de la Sûreté, a précisé : « Le caractère odieux et anormal de ce crime pose un problème. Mais je vous mets en garde quant à la tentation immédiate de juger ce comportement. Ce sera une affaire de spécialistes ».
« Je voulais la ramener »
La première confrontation n'ayant rien donné, les policiers décidèrent hier, en fin de matinée, de remettre à nouveau face à face Ranucci et Mme Aubert. On sait ce qu'il en advint.
En fait le commissaire Cubaynes masque le vrai problème : ce n'est pas le caractère odieux et anormal du crime qui pose problème, c'est le fait que le crime ne correspond pas du tout à la personnalité de Ranucci. Et il est clairement dit : on compte sur les psychiatres expert et la psychologue pour faire coller la personnalité de Ranucci avec le crime. Ce qui est tout de même une drôle de manière de faire des enquêtes.
Alors évidemment, le journaliste Pierre-François Leonetti insiste et nous raconte la même chose que ce que rapporte Gilles Perrault : on a présenté Ranucci aux Auberts selon les règles en tapissage, et ils ne l'ont pas reconnu, alors, fatigué, qu'ont fait les enquêteurs, ils ont mis Ranucci face à face avec les Aubert dans leur bureau, et hop, coup de baguette magique, cette fois ils le reconnaissent. C'est quand même formidable, on tire notre chapeau. C'est admirable.
En fait, tout cela est absurde, et le journaliste, s'il était consciencieux se dirait, tout de même, voilà bien une curieuse méthode de faire des confrontations. Ces témoins sont plus que bizarres, il ne le reconnaissent pas, et puis tout d'un coup, ils changent d'avis.
On est surpris que le journaliste ne le soit pas.