Lors de sa rencontre avec Gilles
Perrault, en 1978, le commissaire Alessandra déclara à l'écrivain
que Christian Ranucci avait bien passé la
nuit du 2 au 3 juin 1974 à Marseille.
"Nous le savons de façon
certaine parce qu'il a eu un accident de la circulation
le dimanche en fin d'après-midi. Il a renversé un
chien dans le quartier Saint-Michel. Le propriétaire
du chien et lui ont échangé leurs identités
pour les problèmes d'assurance."
Selon le commissaire, ce témoignage
n'aurait jamais été évoqué car
cette personne ne se serait manifestée qu'après
la clôture de l'instruction, mais avant le
procès.
Le même commissaire affirma
en revanche, le 1er février 1979, lors de
la conférence de presse organisée par
le Garde des Sceaux, que ces propos étaient
inexacts et que les faits rapportés n'étaient
que pure invention.
Gilles Perrault retrouva toutefois
le propriétaire du chien, Mr Daniel Moussy,
au début des années 1980. Ce dernier
lui déclara que le dimanche 2 juin 1974 vers
20h30, dans les quartiers nord de Marseille, il avait
vu un chien jaillir d'un couloir d'immeuble et se
jeter sous les roues d'un coupé Peugeot 304
qu'il suivait. N'ayant pu éviter le choc,
le chauffeur de la Peugeot s'arrêta; de même
que Mr Moussy, qui rejoignit l'autre conducteur,
visiblement désolé de ce qui s'était
passé.
Mr Moussy lui laissa ses coordonnées en lui promettant de témoigner,
le cas échéant, pour sa compagnie d'assurances.
Mr Moussy déclara également
avoir reçu, quelques jours plus tard, selon
lui avant le 15 juillet 1974, la visite de deux ou
trois policiers qui lui demandèrent s'il reconnaissait
Christian Ranucci. Ils avaient en effet trouvé son
nom et son adresse sur ce dernier.
Un procès-verbal fut ensuite rédigé et signé par
le témoin.
Le commissaire divisionnaire Le
Bruchec, mandaté par le Garde des Sceaux dans
le cadre de la seconde requête en révision,
entendit Mr Moussy et confirma la crédibilité et
la réalité de ses propos. "Il
demeure, écrivit le commissaire, que
le récit de Moussy apparaît tout à fait
sincère et exact."
Daniel Moussy précisa que
l'un des policiers venus l'interroger en 1974 était
Mathieu Fratacci, l'un des enquêteurs dans
ledossier Ranucci.
L'inspecteur marseillais dut, bien malgré lui, reconnaître avoir été envoyé par
son supérieur, le commissaire Alessandra, à une époque
qu'il ne pouvait plus préciser.
Mr Alessandra, à son tour
auditionné, fut obligé, lui aussi,
de reconnaître la réalité des
faits: une "rumeur" lui serait parvenue
en 1975 ou 1976 concernant cet accident; il ne se
souvenait plus du nom des fonctionnaires à qui
il avait confié la mission; l'inspecteur Fratacci
lui aurait finalement indiqué que ses recherches
avaient été infructueuses; il ajoutait également
que le compte rendu avait été verbal...
Bien des efforts pour essayer tant bien que mal de
dissimuler la réalité des faits.
Ainsi donc, le commissaire ayant
dirigé l'enquête dans l'affaire Ranucci,
avait sciemment trompé la justice en cachant
un fait essentiel sur l'emploi du temps du futur
condamné, la veille de l'enlèvement
de la fillette.
Mr Fratacci affirmait dans son livre "Qui
a tué Ranucci?" ceci: " De toutes
façons, ce témoignage n'aurait rien
changé puisqu'il se serait reporté à des évènements
antérieurs à l'enlèvement et
au crime. Que Ranucci ait passé la nuit à dormir
dans sa voiture en rase campagne, du côté de
Salernes, ou à lever le coude dans les bars
louches de Marseille, n'infléchissait pas
le cours de l'histoire en sa faveur. Il ne devient
assassin que le lendemain, après 12h30, heure
de l'accident. Qu'il soit à Salernes ou à Marseille,
dans les deux cas, il a largement le temps d'enlever
la fillette et de la tuer." Il écrivait également: "Au
contraire de ce que certains avancent, dans cette
enquête, ceci venait à charge et non à décharge
de Ranucci. S'il avait menti pour une question aussi
secondaire que le lieu de sa présence, il
pouvait mentir également sur d'autres points
plus importants."
Le problème pour Mr Fratacci
et les autres enquêteurs est qu'une enquête
importante et une pièce ont été extirpées
du dossier et par conséquent non portées à la
connaissance du magistrat instructeur, de la défense
et de la cour d'assises. Ce qui, en soi, est inacceptable.
De plus, contrairement à ce
qui écrivit l'inspecteur, l'épisode
Moussy était à décharge de Christian
Ranucci, car son omission dans les aveux rendait
ceux-ci bien peu crédibles dans le déroulé des évènements.
Mr Fratacci oubliait que ses collègues et lui étaient intimement
convaincus, dès son interpellation, de la culpabilité de Christian
Ranucci. Et que la révélation de ce témoignage contredisait
a posteriori le contenu des aveux.
Lorsque, devant les Assises d'Aix-en-Provence,
Christian Ranucci tenta de dire la vérité et
de rectifier son emploi du temps, il fut accusé de
mensonge et s'en trouva totalement discrédité jusqu'à la
fin de son procès... |