Le pantalon
Dernière mise à jour: 21 septembre 2011

 

 

 

Christian Ranucci avait, semble-t-il, emporté trois pantalons lorsqu'il quitta son domicile le 2 juin 1974:

- Le pantalon taché de sang saisi dans la voiture;
- Le pantalon anthracite qu'il portait dans la champignonnière;
- Le pantalon en tergal gris saisi dans sa chambre.

Le premier d'entre eux fut considéré par l'accusation comme l'un des principaux éléments prouvant sa culpabilité. Il suscita pourtant de nombreuses questions, car sa saisie et sa présence dans le coffre de la voiture restent pour le moins mystérieuses.



5 juin 22 heures


Les policiers se rendent, avec Christian Ranucci, dans le garage où se trouve le coupé Peugeot 304.

Ils saisissent, dans le coffre de la voiture, un pantalon d'homme de couleur bleu marine à chevrons, sans marque ni référence, taché de sang et de boue. Pour lire le contenu du procès-verbal, cliquez ici.



6 juin


Lors de sa garde à vue, interrogé sur le pantalon, Christian Ranucci déclare:


Le pantalon de couleur bleue qui se trouvait dans ma voiture est bien celui que je portais au moment de l'accident. Les taches (que vous me dites être des taches de sang) qui se trouvent sur la poche sont inexplicables en ce qui me concerne. Je pense que ce sont des taches de terre.


Lors de son interrogatoire de première comparution, il précisera au juge d'instruction:


Sans pouvoir être formel, je pense donc que, si une tache de sang a été découverte sur le pantalon trouvé dans ma voiture par les policiers, je pense qu'il s'agit de sang provenant de la fillette. Avant que l'enfant ne soit égorgée, mon pantalon était propre, il n'y avait aucune tache...

... Comme je l'ai déjà dit, ce couteau, je l'ai sorti de la poche de mon pantalon.



25 juillet


Commis le 11 juin pour examiner le pantalon, les docteurs Ollivier et Vuillet rendent leurs conclusions:


Quelques taches de sang de groupe A sont relevées "à la jambe gauche au-dessous de la braguette, à la jambe droite au voisinage de la poche, à la jambe droite, à la hauteur de la face interne de la cuisse".
Quelques taches sont observées "à l'intérieur de la poche droite sur le devant".


Nous savons que Christian Ranucci et la petite Marie-Dolorès avaient tous deux le même groupe sanguin. Ce qui signifie que les taches de sang pouvaient provenir de l'un comme de l'autre. Il n'y avait en tout cas, sur ce point, aucune certitude permettant une conclusion définitive.
Car, après tout, Christian Ranucci aurait très bien pu maculer son pantalon du sang de ses mains lorsqu'il coupa des branchages pour essayer de se désembourber.

Une autre question se pose à propos de ce pantalon: seules quelques taches de sang y ont été relevées. Peut-on imaginer que l'assassin ait pu porter quinze coups de couteau à la petite Maria-Dolorès sans que ses vêtements, en particulier son pantalon, ne soient imprégnés d'une quantité abondante de sang? Cela paraît bien improbable, sauf pour les enquêteurs...



Récapitulatif


Voici ce que Christian Ranucci écrivait, dans son récapitulatif, à propos du pantalon:


Il y avait que le pantalon taché que l'on retrouva dans mon coffre de voiture 3 jours plus tard était taché de sang, du mien, à cause de l'accident. Eh bien, s'il s'était agi du sang provenant d'un homicide, ce pantalon ne serait pas resté tranquillement, innocemment dans un coffre de voiture. D'ailleurs, pourquoi garder un pantalon taché accusateur et jeter les chaussures, jeter la chemise ou la veste tachée ?



En résumé


Interrogée par les policiers, Mme Mathon dira que ce pantalon était une sorte de bleu de travail qui traînait dans le garage. Christian Ranucci le mettait, selon elle, pour circuler à mobylette et faire des courses. Quant aux taches de sang, elle affirma qu'elles étaient la conséquence d'un accident de mobylette que Christian Ranucci avait eu quelques jours auparavant.

Mme Mathon ajouta par ailleurs que son fils n'avait emporté avec lui que deux pantalons: celui qu'il portait dans la champignonnière et un autre, de tergal de couleur grise, saisi dans l'appartement.

Pour les enquêteurs, la réalité est différente.

Christian Ranucci aurait changé de pantalon dans la champignonnière pour mettre un pantalon propre, de couleur anthracite (comme le précisera M. Henri Guazzone), laissant le premier dans le coffre de la voiture.

L'accusation voit d'autre part en Christian Ranucci quelqu'un de très méticuleux, qui se lave avec grand soin, cache son couteau dans le tas de tourbe, affiche un sang-froid exceptionnel et pense même à changer de pantalon.

Enfin, lors du procès d'assises, le Docteur Vuillet abondera dans le sens de l'accusation, en précisant qu'il n'avait trouvé le 6 juin sur l'accusé aucune trace de blessure susceptible d'avoir saigné le jour du crime; d'autre part, les taches relevées sur le pantalon bleu imprégnaient l'extérieur du tissu et le sang pouvait donc difficilement provenir de celui qui portait le vêtement.

Les affirmations de Mme Mathon concernant l'accident de mobylette auraient mérité, des enquêteurs, un complément d'information.
Or, Christian Ranucci n'a jamais été interrogé sur ce point. A notre connaissance, aucune recherche n'a été menée sur la mobylette et sur la réalité ou non de cet accident.

Le pantalon taché de sang était une pièce essentielle du dossier. Pourquoi n'a-t-il jamais été présenté au petit Jean, frère de la victime, ni à M. Spinelli?

Pourquoi les enquêteurs n'ont-ils jamais interrogé Christian Ranucci sur les raisons qui lui ont fait remettre ce pantalon dans le coffre de la voiture, au lieu de s'en débarrasser?

Il semble par ailleurs acquis que Christian Ranucci portait ce pantalon au moment de l'accident. C'est en tout cas ce qu'il affirma au début de sa garde à vue.
Se pose dès lors la question suivante:
Christian Ranucci a toujours été présenté comme un jeune homme très méticuleux et très soigné, aimant "être propre sur lui". Pourquoi, par conséquent, aurait-il choisi d'enfiler ce pantalon, utilisé à des tâches domestiques donc quelque peu élimé, déclassé et certainement moins net que les deux autres, pour rencontrer son père qu'il n'avait pas vu depuis des années? Pourquoi, si l'on retient la thèse de l'accusation, aurait-il fait de même pour revoir un copain de régiment avant d'enlever Maria-Dolorès?
Question de détails, peut-être, mais qui ne cadre pas, comme le souhaitaient les enquêteurs, avec un déroulé crédible des évènements.



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