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Christian Ranucci
avait, semble-t-il, emporté trois pantalons
lorsqu'il quitta son domicile le 2 juin 1974:
- Le pantalon taché de
sang saisi dans la voiture;
- Le pantalon anthracite qu'il portait dans la champignonnière;
- Le pantalon en tergal gris
saisi dans sa chambre.
Le premier d'entre eux fut considéré par
l'accusation comme l'un des principaux éléments
prouvant sa culpabilité. Il suscita pourtant de nombreuses
questions, car sa saisie et sa présence dans le coffre
de la voiture restent pour le moins mystérieuses.
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Les policiers
se rendent, avec Christian Ranucci, dans le garage
où se trouve le coupé Peugeot 304.
Ils saisissent, dans le
coffre de la voiture,
un pantalon d'homme de couleur bleu marine à chevrons,
sans marque ni référence, taché de
sang et de boue. Pour lire le contenu du procès-verbal, cliquez
ici.
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Lors
de sa garde à vue, interrogé sur le
pantalon, Christian Ranucci déclare:
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Le
pantalon de couleur bleue qui se trouvait dans ma
voiture est bien celui que je portais
au moment de l'accident. Les taches (que vous me dites être
des taches de sang) qui se trouvent sur la poche sont
inexplicables en ce qui me concerne. Je pense que ce
sont des taches de terre.
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Lors de son
interrogatoire de première comparution,
il précisera au juge d'instruction:
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Sans
pouvoir être formel,
je pense donc que, si une tache de sang a été découverte
sur le pantalon trouvé dans ma voiture par les
policiers, je pense qu'il s'agit de sang provenant
de la fillette. Avant que l'enfant ne soit égorgée,
mon pantalon était propre, il n'y avait aucune
tache...
...
Comme je l'ai déjà dit,
ce couteau, je l'ai sorti de la poche de mon pantalon.
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Commis
le 11 juin pour examiner le pantalon, les docteurs
Ollivier et Vuillet rendent leurs conclusions:
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Quelques
taches de sang de groupe A sont relevées "à la
jambe gauche au-dessous de la braguette, à la
jambe droite au voisinage de la poche, à la
jambe droite, à la hauteur de la face
interne de la cuisse".
Quelques taches
sont observées "à l'intérieur
de la poche droite sur le devant".
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Nous
savons que Christian Ranucci et la petite Marie-Dolorès
avaient tous deux le même groupe sanguin.
Ce qui signifie que les taches de sang pouvaient
provenir de l'un comme de l'autre. Il n'y avait
en tout cas, sur ce point, aucune certitude permettant
une conclusion définitive.
Car, après tout, Christian Ranucci aurait très bien pu maculer
son pantalon du sang de ses mains lorsqu'il coupa des branchages pour essayer
de se désembourber.
Une autre question se pose à propos de ce pantalon: seules quelques taches de
sang y ont été relevées. Peut-on imaginer que l'assassin ait pu porter quinze
coups de couteau à la
petite
Maria-Dolorès sans que ses vêtements, en particulier son pantalon, ne soient
imprégnés d'une quantité abondante de sang? Cela paraît bien improbable, sauf
pour les enquêteurs... |
Voici
ce que Christian Ranucci écrivait, dans son récapitulatif,
à propos du pantalon:
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Il
y avait que le pantalon taché que
l'on retrouva dans mon coffre de voiture 3 jours
plus tard était taché de sang, du
mien, à cause de l'accident. Eh bien, s'il
s'était agi du sang provenant d'un homicide,
ce pantalon ne serait pas resté tranquillement,
innocemment dans un coffre de voiture. D'ailleurs,
pourquoi garder un pantalon taché accusateur
et jeter les chaussures, jeter la chemise ou la
veste tachée ?
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Interrogée
par les policiers, Mme Mathon dira que ce pantalon était
une sorte de bleu de travail qui traînait
dans le garage. Christian Ranucci le mettait,
selon elle, pour circuler à mobylette
et faire des courses. Quant aux taches de sang,
elle affirma qu'elles étaient la conséquence
d'un accident de mobylette que Christian Ranucci
avait eu quelques jours auparavant.
Mme
Mathon ajouta par ailleurs que son fils n'avait
emporté avec lui que deux pantalons:
celui qu'il portait dans la champignonnière
et un autre, de tergal de couleur grise, saisi
dans l'appartement.
Pour
les enquêteurs, la réalité est
différente.
Christian
Ranucci aurait changé de pantalon dans
la champignonnière pour mettre un pantalon
propre, de couleur anthracite (comme le précisera
M. Henri Guazzone), laissant le premier dans
le coffre de la voiture.
L'accusation
voit d'autre part en Christian Ranucci quelqu'un
de très méticuleux, qui se lave
avec grand soin, cache son couteau dans le
tas de tourbe, affiche un sang-froid exceptionnel
et pense même à changer de pantalon.
Enfin,
lors du procès d'assises, le Docteur
Vuillet abondera dans le sens de l'accusation,
en précisant qu'il n'avait trouvé le
6 juin sur l'accusé aucune trace de
blessure susceptible d'avoir saigné le
jour du crime; d'autre part, les taches relevées
sur le pantalon bleu imprégnaient l'extérieur
du tissu et le sang pouvait donc difficilement
provenir de celui qui portait le vêtement.
Les
affirmations de Mme Mathon concernant l'accident
de mobylette auraient mérité,
des enquêteurs, un complément
d'information.
Or, Christian Ranucci n'a jamais été interrogé sur ce point.
A notre connaissance, aucune recherche n'a été menée sur
la mobylette et sur la réalité ou non de cet accident.
Le
pantalon taché de sang était
une pièce essentielle du dossier. Pourquoi
n'a-t-il jamais été présenté au
petit Jean, frère de la victime, ni à M.
Spinelli?
Pourquoi
les enquêteurs n'ont-ils jamais interrogé Christian
Ranucci sur les raisons qui lui ont fait remettre
ce pantalon dans le coffre de la voiture, au
lieu de s'en débarrasser?
Il semble par ailleurs acquis que Christian
Ranucci portait ce pantalon au moment de l'accident.
C'est en tout cas ce qu'il affirma au début
de sa garde à vue. Se pose
dès lors la question suivante:
Christian Ranucci a toujours été présenté comme
un jeune homme très méticuleux
et très soigné,
aimant "être propre sur lui". Pourquoi,
par conséquent,
aurait-il choisi d'enfiler ce pantalon, utilisé
à des tâches domestiques donc
quelque peu
élimé, déclassé et
certainement moins net que les deux autres,
pour rencontrer son père qu'il
n'avait pas vu depuis des années? Pourquoi,
si l'on retient la thèse de l'accusation,
aurait-il fait de même pour revoir un
copain de régiment
avant d'enlever Maria-Dolorès?
Question de détails, peut-être,
mais qui ne cadre pas, comme le souhaitaient
les enquêteurs,
avec un déroulé crédible
des évènements.
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