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Certains de vos détracteurs ont affirmé que
vous n'aviez travaillé qu'à partir des procès-verbaux,
sans rencontrer les témoins de l'affaire. Que leur répondez-vous?
Dans
une affaire aussi grave, où une enfant a été assassinée
et un jeune homme décapité, vous n'avez pas intérêt à raconter
ou à écrire n'importe quoi.
Beaucoup de témoins ont été effrayés
de l'ampleur prise par cette affaire, puis par mon livre et par
le film de Michel Drach. J'ai donc rencontré tous ceux
qui acceptaient de me recevoir à un moment où,
Ranucci ayant été exécuté, on ne
parlait plus de l'affaire.
Je suis arrivé, par exemple, au garage d'Eugène
Spinelli, sans lui avoir écrit ou téléphoné.
Il a répondu tout naturellement à mes questions.
Les Aubert, comme la juge Di Marino, ont, en revanche, refusé de
me recevoir, ce qui était leur droit. Je n'ai par contre
pas retrouvé les Martinez.
J'ai aussi rencontré les amis d'enfance de Christian Ranucci,
sa maîtresse niçoise. De même, j'ai pu converser
avec le capitaine Gras, puis le commissaire Alessandra. Celui-ci
m'a reçu alors qu'il ne me connaissait pas, convaincu
que j'allais écrire un livre sur les trente plus belles
affaires criminelles du siècle et sur les brillants policiers
de la sûreté de Marseille. Lorsqu'il s'est rendu
compte que je connaissais très bien le dossier, il est
devenu très méfiant et a mis fin à notre
entretien de près de trois quarts d'heure. Alessandra
m'a cependant dit des choses très intéressantes,
notamment qu'il croyait à l'existence de l'homme au pull-over
rouge.
En résumé, je peux vous assurer que j'ai fait une
longue et minutieuse enquête sur le terrain en rencontrant
le maximum de gens dont j'avais retrouvé la trace et qui
avaient bien voulu me rencontrer.
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Comment avez-vous eu connaissance de l'existence des confrontations
négatives qui n'ont fait l'objet d'aucun procès-verbal?
Je pense bien évidemment à la première
confrontation entre les époux Aubert et Christian
Ranucci. Certains policiers se sont-ils confiés à vous?
Non, les policiers, à l'issue
de mon entretien avec Alessandra, leur patron, ont compris
qu'un emmerdeur avait débarqué à Marseille
et qu'il fallait lui fermer toutes les portes possibles.
Ce sont les journalistes présents à l'Evêché qui
ont parlé d'une séance d'identification classique,
d'un "tapissage" en terme de police, qui n'avait
rien donné. La reconnaissance de Ranucci par les Aubert
n'a eu lieu qu'après, lorsque le commissaire Alessandra
organisa une confrontation dans son bureau entre Ranucci
et le couple témoin. On peut donc s'y fier car les
journalistes n'avaient aucun doute sur la culpabilité de
Christian Ranucci et l'on ne comprendrait pas pourquoi ils
auraient imaginé cette confrontation.
On peut en tout cas s'interroger sur l'absence de procès-verbal
pour toutes les séances d'identification négative.
Or, on sait qu'un grand nombre de témoins, notamment
pour ce qui concerne les agissements de l'homme au pull-over
rouge, ont été confrontés à Ranucci:
Mr Martel, Mme Mattei, sa fille, la copine de celle-ci, puis
bien sûr Eugène Spinelli et Jean Rambla. Et
aucun d'entre eux n'a reconnu Christian Ranucci.
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Le témoignage très évolutif des époux
Aubert suscite bien des questions. Pensez-vous, comme Jean-François
Le Forsonney, qu'ils ont voulu minimiser l'importance de
leur témoignage pour ne pas être soupçonnés
de non assistance à personne en danger?
Ce peut être une hypothèse
en effet. Oublions un instant les Aubert et imaginons la
situation suivante: vous êtes mêlé indirectement à un
accident; vous suivez un automobiliste, vous le voyez sortir
de la voiture avec une petite fille et vous apprenez deux
jours plus tard que cette fillette a été retrouvée
poignardée et assassinée au même endroit.
Vous vous retrouvez dans une situation délicate car
cela signifie que cette petite fille a été tuée à vingt
mètres de vous, que vous n'êtes pas intervenu,
ou à tout le moins que vous n'avez pas tenté d'intervenir.
Vous êtes reparti sans même avertir les gendarmes.
Bref, vous n'avez rien fait du tout. C'est ce que l'on appelle
de la non assistance à personne en danger. Car si
l'on ne peut vous demander de mettre votre propre vie en
péril, on attend de vous au moins une tentative d'intervention.
Et là, pas la moindre réaction.
Il est donc évident que, devant l' énorme émotion
qui bouleverse la région, un couple dans cette situation
est vulnérable, surtout s'il est installé socialement.
Ceci pourrait par conséquent expliquer les arguments
invoqués par eux, à savoir qu'ils ne se sont
pas rendus compte de ce qu'ils voyaient, qu'ils ont aperçu
un homme sortir de la voiture avec un paquet volumineux,
ensuite que ce paquet est devenu une fillette silencieuse
et qu'enfin cette fillette, décrite dans le détail
vestimentaire, s'est mise à parler et à demander "qu'est-ce
qu'on fait maintenant?"
Par ailleurs, le temps est l'ennemi de la mémoire;
chez les Aubert, c'est l'inverse, la mémoire leur
revient de plus en plus jusqu'à l'identification de
Christian Ranucci.
Puis enfin le scénario décrit par eux devient
problématique sinon improbable lorsqu'ils indiquent
que le conducteur est sorti par sa portière et a fait
le tour du véhicule. Car la portière conducteur
est bloquée, ce qui complique le déroulé des
faits, l'homme devant d'abord faire sortir la petite fille,
au risque de la voir fuir vers la voiture qui les suivait
en pleurant et en demandant du secours.