-
Abordons à présent
le fameux incident des procès-verbaux exhibés
par l'avocat général lors du procès
d'assises.
Le
récit que j'en fais dans le livre est basé sur
tout ce que m'en ont dit les acteurs, Le Forsonney, Collard,
etc. Le plus extraordinaire c'est que lors de la remise
des procès-verbaux à Viala, celui-ci a hésité car,
pour lui, il était évident que ce serait
un cas de cassation. Gillbert Collard a d'ailleurs échangé un
regard avec l'avocat général. Il me l'a très
bien décrit, avec toute la vie dont il est capable.
Entre lui et Viala, c'était le salut de Ranucci,
c'est-à-dire l'incident de procédure assuré,
car ces pièces, liées à l'affaire,
avaient été tenues à l'écart
du dossier.
Et malheureusement, la défense de Ranucci n'a pas
fait le minimum. Lombard aurait dû demander à tout
le moins de pouvoir lire les pièces. Mais il ne l'a
pas fait.
-
Paul Lombard s'en est-il expliqué avec vous?
Non. Pour Lombard, cela reste un sujet
infiniment douloureux et je le comprends et le respecte.
Qu'est-ce que vous voulez? Ca s'est passé comme cela.
Il venait de plaider, il était épuisé,
il y avait une tension incroyable et absolument épouvantable
dans la salle d'audience. Moi qui ai vu plaider Floriot ou
Garçon, je sais qu'eux auraient dit "Monsieur
le président, je demande une suspension, puis je replaiderai
puisqu'on nous donne des pièces au dernier moment
et comme il est très tard, on se reverra demain matin".
Et cela changeait tout, bien sûr. La pression tombait.
La défense aurait trouvé dans ces pièces
les éléments qui indiquaient qu'il s'agissait
de bien autre chose que d'un vague type en pull-over vert.
C'est le destin des procès...
-
Trois requêtes en révision ont été rejetées.
Une nouvelle requête est-elle envisagée?
Oui, bien sûr, nous n'abandonnerons
jamais. Et nous passerons le relais en d'autres mains, plus
jeunes. Nous savons que tant que cette génération,
celle des jurés, sera vivante, la cour de cassation
refusera la révision. Elle refuse encore la révision
pour Seznec ou pour Mis et Thiennot.
Pour ces derniers, vraiment c'est une honte car on connaît
l'assassin dont le nom a été cité dans
les journaux régionaux. Trois requêtes ont ainsi été rejetées
et Thiennot est mort. Voici ce que m'a dit un jour un conseiller à la
cour de cassation à leur propos: "Vous n'y pensez
pas; ils ont été condamnés depuis 47
ou 48; vous vous rendez compte des indemnités qu'il
faudrait leur verser". Alors que Mis et Thiennot ne
demandaient qu'une chose, la réhabilitation.
La justice française est incapable de reconnaître
ses erreurs. Vous avez vu qu'aux Etats-Unis, l'ADN a permis
de rouvrir des dossiers et que des condamnés à mort
qui attendaient leur exécution depuis des années
ont été innocentés et libérés.
Mais chez nous, c'est impensable car on ne garde pas les
preuves ou les pièces à conviction. Tout est
dispersé et brûlé.
On m'a dit au sujet de l'affaire Ranucci: "la plupart
des jurés sont encore vivants, et vous voulez qu'on
dise à ces gens-là qu'ils ont envoyé un
innocent à l'échafaud. Vous vous rendez compte
de la réaction de leurs enfants; non c'est impossible."
Je peux le comprendre, mais il y a la justice et la vérité quand
même, puis la mère de Christian. C'est très
compliqué, on ne peut pas détruire la vie de
ces jurés, car les malheureux ont jugé sur
un dossier qui n'était pas complet, c'est le moins
qu'on puisse dire, mais enfin s'il y a eu erreur judiciaire,
il faut la réparer.
Ceci dit, une quatrième requête en révision
est en chantier. Elle contiendra de nouveaux éléments.
Que demande-t-on? Un nouveau procès pour Christian
Ranucci au vu de tout ce qui a été trouvé depuis
maintenant trente ans et vous savez qu'on a découvert
pas mal de choses et qu'elles vont toutes dans le sens de
l'innocence de Christian. On ne peut évidemment pas
démontrer son innocence, sauf à amener le coupable,
mais je dirais qu'à l'heure actuelle l'accusation
ne tient plus, il y a trop de questions sans réponse,
trop de choses qui ne vont pas.
Il faut donc continuer le combat, tout en sachant que notre
génération, la mienne, celle de Jean-Denis
Bredin, de Daniel Soulez-Larivière, ou même
de Jean-François Le Forsonney, ne verra pas la victoire
mais nous passerons le flambeau à d'autres et un jour,
j'en suis convaincu, Christian Ranucci sera réhabilité.