Entretien: Gilles Perrault
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 



- Abordons à présent le fameux incident des procès-verbaux exhibés par l'avocat général lors du procès d'assises.

Le récit que j'en fais dans le livre est basé sur tout ce que m'en ont dit les acteurs, Le Forsonney, Collard, etc. Le plus extraordinaire c'est que lors de la remise des procès-verbaux à Viala, celui-ci a hésité car, pour lui, il était évident que ce serait un cas de cassation. Gillbert Collard a d'ailleurs échangé un regard avec l'avocat général. Il me l'a très bien décrit, avec toute la vie dont il est capable. Entre lui et Viala, c'était le salut de Ranucci, c'est-à-dire l'incident de procédure assuré, car ces pièces, liées à l'affaire, avaient été tenues à l'écart du dossier.
Et malheureusement, la défense de Ranucci n'a pas fait le minimum. Lombard aurait dû demander à tout le moins de pouvoir lire les pièces. Mais il ne l'a pas fait.

- Paul Lombard s'en est-il expliqué avec vous?

Non. Pour Lombard, cela reste un sujet infiniment douloureux et je le comprends et le respecte. Qu'est-ce que vous voulez? Ca s'est passé comme cela. Il venait de plaider, il était épuisé, il y avait une tension incroyable et absolument épouvantable dans la salle d'audience. Moi qui ai vu plaider Floriot ou Garçon, je sais qu'eux auraient dit "Monsieur le président, je demande une suspension, puis je replaiderai puisqu'on nous donne des pièces au dernier moment et comme il est très tard, on se reverra demain matin". Et cela changeait tout, bien sûr. La pression tombait. La défense aurait trouvé dans ces pièces les éléments qui indiquaient qu'il s'agissait de bien autre chose que d'un vague type en pull-over vert. C'est le destin des procès...

- Trois requêtes en révision ont été rejetées. Une nouvelle requête est-elle envisagée?

Oui, bien sûr, nous n'abandonnerons jamais. Et nous passerons le relais en d'autres mains, plus jeunes. Nous savons que tant que cette génération, celle des jurés, sera vivante, la cour de cassation refusera la révision. Elle refuse encore la révision pour Seznec ou pour Mis et Thiennot.
Pour ces derniers, vraiment c'est une honte car on connaît l'assassin dont le nom a été cité dans les journaux régionaux. Trois requêtes ont ainsi été rejetées et Thiennot est mort. Voici ce que m'a dit un jour un conseiller à la cour de cassation à leur propos: "Vous n'y pensez pas; ils ont été condamnés depuis 47 ou 48; vous vous rendez compte des indemnités qu'il faudrait leur verser". Alors que Mis et Thiennot ne demandaient qu'une chose, la réhabilitation.
La justice française est incapable de reconnaître ses erreurs. Vous avez vu qu'aux Etats-Unis, l'ADN a permis de rouvrir des dossiers et que des condamnés à mort qui attendaient leur exécution depuis des années ont été innocentés et libérés. Mais chez nous, c'est impensable car on ne garde pas les preuves ou les pièces à conviction. Tout est dispersé et brûlé.
On m'a dit au sujet de l'affaire Ranucci: "la plupart des jurés sont encore vivants, et vous voulez qu'on dise à ces gens-là qu'ils ont envoyé un innocent à l'échafaud. Vous vous rendez compte de la réaction de leurs enfants; non c'est impossible."
Je peux le comprendre, mais il y a la justice et la vérité quand même, puis la mère de Christian. C'est très compliqué, on ne peut pas détruire la vie de ces jurés, car les malheureux ont jugé sur un dossier qui n'était pas complet, c'est le moins qu'on puisse dire, mais enfin s'il y a eu erreur judiciaire, il faut la réparer.

Ceci dit, une quatrième requête en révision est en chantier. Elle contiendra de nouveaux éléments. Que demande-t-on? Un nouveau procès pour Christian Ranucci au vu de tout ce qui a été trouvé depuis maintenant trente ans et vous savez qu'on a découvert pas mal de choses et qu'elles vont toutes dans le sens de l'innocence de Christian. On ne peut évidemment pas démontrer son innocence, sauf à amener le coupable, mais je dirais qu'à l'heure actuelle l'accusation ne tient plus, il y a trop de questions sans réponse, trop de choses qui ne vont pas.
Il faut donc continuer le combat, tout en sachant que notre génération, la mienne, celle de Jean-Denis Bredin, de Daniel Soulez-Larivière, ou même de Jean-François Le Forsonney, ne verra pas la victoire mais nous passerons le flambeau à d'autres et un jour, j'en suis convaincu, Christian Ranucci sera réhabilité.

 

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