Entretien: Gilles Perrault
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 



- Evoquons l'autre élément décisif de l'accusation, le pantalon bleu taché de sang.

Ce pantalon était celui que Christian portait lors de son accident de mobylette. C'est ce qui expliquerait les petites taches de sang qui y furent relevées. Il était un peu déclassé et ne servait plus qu'à des travaux domestiques. On peut d'ailleurs se demander pourquoi Christian l'aurait porté lors de l'accident du carrefour de La Pomme.
Par ailleurs, la petite Maria-Dolorès a été littéralement égorgée; le sang a donc jailli abondamment; si Christian était l'assassin, son pantalon n'aurait pas été souillé de quelques taches de sang mais en aurait été totalement imbibé.
Cet argument de l'accusation paraît donc bien fragile surtout si l'on évoque les circonstances de sa saisie et les anomalies relevées par plusieurs experts sur le fameux procès-verbal.

- Ce qui a fait dire aux avocats de Mme Mathon que le pantalon n'aurait pas été saisi comme précisé officiellement.

Bien sûr. Alors imaginez ce garçon décrit par l'accusation comme froid et intelligent; après avoir commis son crime, il se contente de remettre son pantalon, taché de sang, dans le coffre de sa voiture. Un crétin l'aurait abandonné dans un fourré entre Marseille et Nice; personne n'aurait alors pu en retrouver l'origine ni son propriétaire. Mais pas Christian. Pourquoi?

Vous connaissez également l'histoire de la fausse saisie de la voiture. Des officiers de police judiciaire rédigent un procès-verbal de saisie de la voiture chez Mme Mathon à Nice, alors que le véhicule se trouve déjà à Marseille, dans la cour de l'Evêché. On nous a dit que ce n'était pas grave et qu'il fallait mettre cela sur le compte des bêtises administratives. Peut-être. Mais pourquoi un procès-verbal pour une fausse saisie? C'est ce que l'on appelle une faux en écriture publique, commis non par de simples policiers, mais pas des officiers de police judiciaire. Et vous voyez bien toute la différence entre les deux. Dès l'instant que des policiers de cette importance déclarent saisir une voiture qui n'est plus là, qui est déjà à Marseille, alors qu'eux se trouvent à Nice, tout devient possible, toutes les questions peuvent se poser. Pourquoi ont-ils agi ainsi? En quoi ceci pouvait-il leur être utile? On l'ignore.
Ce qui est épouvantable dans cette affaire, c'est le nombre de questions restées sans réponse. Pourquoi avoir fait se balader le capitaine Gras pendant une heure cinquante-cinq? Pourquoi Alessandra n'a-t-il pas dit au juge" Mme le juge, Ranucci vient de nous dire où est le couteau, on y va, on passe vous prendre si vous voulez"? Tant que nous n'aurons pas les réponses à ces questions, la thèse de l'accusation ne tient plus.

- Vous avez également révélé l'existence du témoignage de Daniel Moussy qui reste encore aujourd'hui la seule preuve officielle de la présence de Ranucci à Marseille dans la soirée du 2 juin.

Certains diront que ce témoignage porte sur un point de détail. Il ne l'exonère pas bien sûr de l'accusation d'enlèvement, mais il montre que ses aveux sont faux. On a fait en effet avouer à Ranucci qu'il avait passé la nuit dans un chemin creux à Salernes. Lui-même dira d'ailleurs après: "je ne sais pas pourquoi ils voulaient absolument que j'aie passé la nuit à Salernes." Et n'en voyant pas l'intérêt, il l'a dit, alors qu'il se trouvait à Marseille. Ce qui prouve d'ailleurs, de manière indubitable, l'authenticité de son amnésie.
Et l'on peut s'interroger une fois de plus sur l'attitude de la police et les raisons pour lesquelles la déposition de Daniel Moussy n'a pas été jointe au dossier, alors qu'il avait été entendu par les policiers au moment de l'affaire.

- Il semblerait que Daniel Moussy ait subi des pressions après son audition par le commissaire Le Bruchec. Cela vous surprend-il?

Ce n'est pas étonnant, car cette affaire a toujours suscité des réactions très violentes, surtout dans la région où elles ont été exacerbées. Les témoins ne voulaient pas d'histoire et voulaient vivre tranquilles. Vous comprenez, là-bas, si vous apportez de l'eau au moulin de la non-culpabilité de Christian Ranucci, simplement en témoignant de ce que vous avez vu, vous êtes considéré comme un complice et un partisan des assassins d'enfants. Peu de gens sont prêts à l'accepter.

- Avez-vous essayé de rencontrer Jean Ranucci?

Non, jamais. Je vous avouerais que j'avais perdu la trace de cet homme et que, par ailleurs, Mme Mathon s'exprimait avec beaucoup de crainte et de réticence à son sujet.

- A-t-elle jamais évoqué la possible visite de Christian à son père le 3 juin 1974?

Oui, elle m'a dit que Christian lui posait de temps en temps des questions sur son père et qu'elle n'aurait pas été surprise qu'il ait été à Marseille pour le rencontrer. Il ne lui avait pas dit où il allait ce week-end; il lui avait simplement dit qu'il allait faire un tour. Mais ce sujet semblait le tourmenter, ce qui est un peu normal, car il s'agissait de son père.

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