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Evoquons l'autre élément décisif de
l'accusation, le pantalon bleu taché de sang.
Ce
pantalon était celui que Christian portait lors
de son accident de mobylette. C'est ce qui expliquerait
les petites taches de sang qui y furent relevées.
Il était un peu déclassé et ne servait
plus qu'à des travaux domestiques. On peut d'ailleurs
se demander pourquoi Christian l'aurait porté lors
de l'accident du carrefour de La Pomme.
Par ailleurs, la petite Maria-Dolorès a été littéralement égorgée;
le sang a donc jailli abondamment; si Christian était
l'assassin, son pantalon n'aurait pas été souillé de
quelques taches de sang mais en aurait été totalement
imbibé.
Cet argument de l'accusation paraît donc bien fragile
surtout si l'on évoque les circonstances de sa saisie
et les anomalies relevées par plusieurs experts sur
le fameux procès-verbal.
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Ce qui a fait dire aux avocats de Mme Mathon que le pantalon
n'aurait pas été saisi comme précisé officiellement.
Bien sûr. Alors imaginez ce
garçon décrit par l'accusation comme froid
et intelligent; après avoir commis son crime, il se
contente de remettre son pantalon, taché de sang,
dans le coffre de sa voiture. Un crétin l'aurait abandonné dans
un fourré entre Marseille et Nice; personne n'aurait
alors pu en retrouver l'origine ni son propriétaire.
Mais pas Christian. Pourquoi?
Vous connaissez également l'histoire de la fausse
saisie de la voiture. Des officiers de police judiciaire
rédigent un procès-verbal de saisie de la voiture
chez Mme Mathon à Nice, alors que le véhicule
se trouve déjà à Marseille, dans la
cour de l'Evêché. On nous a dit que ce n'était
pas grave et qu'il fallait mettre cela sur le compte des
bêtises administratives. Peut-être. Mais pourquoi
un procès-verbal pour une fausse saisie? C'est ce
que l'on appelle une faux en écriture publique, commis
non par de simples policiers, mais pas des officiers de police
judiciaire. Et vous voyez bien toute la différence
entre les deux. Dès l'instant que des policiers de
cette importance déclarent saisir une voiture qui
n'est plus là, qui est déjà à Marseille,
alors qu'eux se trouvent à Nice, tout devient possible,
toutes les questions peuvent se poser. Pourquoi ont-ils agi
ainsi? En quoi ceci pouvait-il leur être utile? On
l'ignore.
Ce qui est épouvantable dans cette affaire, c'est
le nombre de questions restées sans réponse.
Pourquoi avoir fait se balader le capitaine Gras pendant
une heure cinquante-cinq? Pourquoi Alessandra n'a-t-il pas
dit au juge" Mme le juge, Ranucci vient de nous dire
où est le couteau, on y va, on passe vous prendre
si vous voulez"? Tant que nous n'aurons pas les réponses à ces
questions, la thèse de l'accusation ne tient plus.
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Vous avez également révélé l'existence
du témoignage de Daniel Moussy qui reste encore aujourd'hui
la seule preuve officielle de la présence de Ranucci à Marseille
dans la soirée du 2 juin.
Certains diront que ce témoignage
porte sur un point de détail. Il ne l'exonère
pas bien sûr de l'accusation d'enlèvement, mais
il montre que ses aveux sont faux. On a fait en effet avouer à Ranucci
qu'il avait passé la nuit dans un chemin creux à Salernes.
Lui-même dira d'ailleurs après: "je ne
sais pas pourquoi ils voulaient absolument que j'aie passé la
nuit à Salernes." Et n'en voyant pas l'intérêt,
il l'a dit, alors qu'il se trouvait à Marseille. Ce
qui prouve d'ailleurs, de manière indubitable, l'authenticité de
son amnésie.
Et l'on peut s'interroger une fois de plus sur l'attitude
de la police et les raisons pour lesquelles la déposition
de Daniel Moussy n'a pas été jointe au dossier,
alors qu'il avait été entendu par les policiers
au moment de l'affaire.
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Il semblerait que Daniel Moussy ait subi des pressions
après son audition par le commissaire Le Bruchec.
Cela vous surprend-il?
Ce n'est pas étonnant,
car cette affaire a toujours suscité des réactions
très violentes, surtout dans la région où elles
ont été exacerbées. Les témoins
ne voulaient pas d'histoire et voulaient vivre tranquilles.
Vous comprenez, là-bas, si vous apportez de l'eau
au moulin de la non-culpabilité de Christian Ranucci,
simplement en témoignant de ce que vous avez vu, vous êtes
considéré comme un complice et un partisan
des assassins d'enfants. Peu de gens sont prêts à l'accepter.
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Avez-vous essayé de rencontrer Jean Ranucci?
Non, jamais. Je vous avouerais que
j'avais perdu la trace de cet homme et que, par ailleurs,
Mme Mathon s'exprimait avec beaucoup de crainte et de réticence à son
sujet.
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A-t-elle jamais évoqué la possible visite
de Christian à son
père le 3 juin 1974?
Oui, elle m'a dit que Christian lui posait
de temps en temps des questions sur son père et qu'elle
n'aurait pas été surprise qu'il ait été à Marseille
pour le rencontrer. Il ne lui avait pas dit où il
allait ce week-end; il lui avait simplement dit qu'il allait
faire un tour. Mais ce sujet semblait le tourmenter, ce qui
est un peu normal, car il s'agissait de son père.