Entretien: Gilles Perrault
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 



- La présence de la voiture dans la galerie, en position de marche arrière, reste aussi un mystère. Comment l'expliquez-vous?

Je ne me l'explique pas. Pourquoi est-il rentré en marche arrière? Tout cela est très mystérieux. Christian Ranucci avait bu cette nuit-là, il l'a dit lui-même, dans le quartier de l'Opéra à Marseille. Peut-être était-il toujours sous l'effet de l'alcool.
Nous avons reçu un jour, après la publication de mon livre, le témoignage d'un homme qui avait dépassé Christian sur la route qui venait de Marseille. Il l'avait donc rattrapé avant le carrefour de La Pomme. Selon ses dires, Christian avait l'air bizarre, un peu secoué, comme quelqu'un qui avait la gueule de bois; mais surtout il était seul. Ce témoin avait une voiture plus haute que la Peugeot 304 et avait donc une bonne vision de l'habitacle de celle-ci. Et il était formel, Christian était seul à bord. Nous ne pouvions faire état de ce témoignage car cet homme était ce jour-là en escapade amoureuse et tenait donc à conserver son anonymat. Mais il voulait néanmoins nous faire part de ce qu'il avait vu.

- Le couteau fut l'un des éléments essentiels de l'accusation. Pourtant les conditions de sa découverte paraissent assez étranges. Qu'en pensez-vous?

Ranucci désigne, au terme de ses aveux, l'endroit où il a caché le couteau. Le capitaine Gras commence les recherches à 1750 mètres de cet endroit et mettra une heure cinquante-cinq minutes pour le retrouver.
Lors de ma rencontre avec Gras, je lui ai demandé pourquoi les recherches avaient débuté loin de là alors qu'on lui avait dit où était le couteau. Il me répondit: "mais vous me prenez pour un con? On ne m'a évidemment pas dit où était le couteau, sinon j'y serais allé tout droit. On m'a dit: le crime a eu lieu chez vous, le couteau doit être par là, cherchez-le". Ceci me fut d'ailleurs confirmé par Guazzone, présent pendant la durée des recherches.

- Que vous a dit le capitaine Gras quand vous lui avez rappelé qu'au moment où il a commencé les recherches, Christian Ranucci avait indiqué l'endroit exact où il avait enfoui le couteau?

Il m'a dit très sûr de lui: "ne me racontez pas d'histoires, vous pensez bien que si Ranucci avait dit où était le couteau, on me l'aurait indiqué". Il considérait en vérité avoir bien fait son travail: il était parti de la scène du crime, avait descendu la route nationale, remonté le chemin jusqu'au tas de tourbe puis avait fini par retrouver le couteau. Il me trouvait d'ailleurs un peu léger de sous-estimer ainsi le travail des gendarmes.

Quelque chose ne colle donc pas dans la découverte du couteau, c'est une évidence. Dans une affaire criminelle, il y a des habitudes mais aussi des règles policières. Lorsque le suspect ou le mis en cause craque et passe des aveux en disant avoir caché l'arme du crime à tel endroit, les enquêteurs l'y emmènent en voiture pour qu'il confirme ses aveux. Pourquoi les policiers marseillais ne l'ont-ils pas fait? Il ne leur aurait fallu que quinze ou vingt minutes pour s'y rendre.
On a voulu nous faire croire que le juge d'instruction avait exigé qu'on lui présentât immédiatement Ranucci. Non, soyons sérieux. Je peux vous dire qu'étant donné les relations entre l'Evêché et le magistrat instructeur, celui-ci n'avait ni l'autorité, ni la stature, ni la carure pour empêcher le commissaire Alessandra de se rendre sur les lieux avec Ranucci. Et puis, c'était aussi à elle, la juge d'instruction, de diligenter cette opération ou d'y aller elle-même.
Les policiers qui ont lu mon livre ont tous été surpris de cette attitude de leurs collègues marseillais.
" Ca n'a pas pu se passer comme cela," me disaient-ils, "on va toujours sur les lieux avec un suspect qui vient d'avouer pour qu'il nous montre où est cachée l'arme du crime".
D'autre part, beaucoup de policiers n'ont pas compris pourquoi personne n'a vérifié que la lame du couteau correspondait avec ce que l'on appelle les boutonnières des blessures.
Tout ceci est très étrange, vous en conviendrez, et suscite de nombreuses questions sur ce qui s'est réellement passé. La chronologie des procès-verbaux relatifs au couteau en est un autre exemple. Quelles conclusions tirer des bizarreries les entourant? Sont-elles la conséquence d'une certaine routine ou paresse, sans que ce soit excessivement péjoratif? Peut-être. Traduisent-elles quelque chose de plus pernicieux? Je l'ignore. Tout est possible.

- Christian Ranucci a toujours affirmé que le couteau lui appartenait. Aurait-il toutefois pu confondre le Virginia-Inox et l'Opinel pendant toute la procédure?

Absolument, c'est mon hypothèse, ou en tout cas une hypothèse que j'aurais tendance à privilégier. En effet, jusqu'au dernier interrogatoire récapitulatif de l'instruction, Christian clamera son innocence tout en reconnaissant que le couteau lui appartient. Il confiera bien naïvement à Jean-François Le Forsonney: "voulez-vous que je mente au sujet du couteau en disant que ce n'est pas le mien?"
Quelle honnêteté extraordinaire chez ce garçon qui veut que son innocence soit reconnue et en même temps qui ne nie pas que le couteau lui appartienne. Reste à savoir de quel couteau Christian parlait.
Comme vous le savez, certains procès-verbaux du juge d'instruction ont été modifiés de manière très intéressante. On parle d'un couteau opinel; on rature ce mot, puis on le remplace, dans la marge, par la mention "automatique", ajout que l'on fait ensuite signer à Christian Ranucci.

- Mme Mathon vous a-t-elle parlé du Virginia-Inox qui aurait appartenu à son fils?

Non, elle ne m'en a jamais parlé. Elle n'a évoqué que le couteau opinel de Christian.

Ce que l'on peut en tout cas dire au sujet du couteau, c'est que cet argument essentiel aux yeux de l'accusation est tellement entouré de flou et d'étrangetés qu'il ne tient plus et qu'il ne peut être considéré comme la preuve de la culpabilité de Christian Ranucci.


Page précédente
   
copyrightfrance