Les Aveux
Dernière mise à jour: 21 septembre 2011

 

 

 


6 juin - 18 heures



Christian Ranucci est déféré devant le juge d'instruction qui procède, sans plus attendre, à l'interrogatoire de première comparution.


Après avoir constaté l'identité du comparant, nous lui avons fait connaître expressément chacun des faits qui lui sont imputés et nous lui avons ensuite déclaré qu'en vertu du réquisitoire de M. le Procureur de la République en date du 4 et 5 juin 1974, il est instruit, à son égard, des chefs d'avoir le 3 juin 1974 à Marseille, par fraude enlevé Marie Dolorès Rambla, mineure âgée de 8 ans. D'avoir courant juin 1974 depuis temps non prescrit sur le territoire national commis un homicide volontaire sur la personne de Rambla Marie Dolorès.
Faits prévus et punis par les articles 354, 355, 295 et suivants du Code Pénal, art. 312 Code Pénal alinéa 10 modifié par l'ord. du 23 décembre 1958.


Nous l'avons ensuite averti qu'il est libre de ne faire aucune déclaration.

Il a dit: Je consens à m'expliquer sans l'assistance d'un conseil.
Je reconnais m'être rendu à Marseille le lundi de Pentecôte, c'est-à-dire le 3 juin 1974. Je reconnais avoir enlevé une fillette qui devait être âgée au maximum de huit ans. Je reconnais avoir au cours de la même matinée égorgé cette fillette un peu plus tard dans la matinée à coups de couteau. Je l'ai égorgée avec un couteau automatique que j'avais dans ma poche. Ce couteau, je m'en suis débarrassé après les faits à l'entrée de la galerie où je me suis embourbé.
En ce qui me concerne, je n'ai saigné à aucun moment au cours de la journée du 3 juin. Je me suis seulement égratigné ainsi que vous pouvez le constater et que vous l'avez déjà constaté au cours du contrôle de garde à vue. Ces égratignures proviennent des ronces qui se trouvaient à l'endroit où j'ai égorgé l'enfant et des ronces qui se trouvaient non loin de la galerie où je me suis embourbé.
Sans pouvoir être formel, je pense donc que, si une tache de sang a été découverte sur le pantalon trouvé dans ma voiture par les policiers, je pense qu'il s'agit de sang provenant de la fillette. Avant que l'enfant ne soit égorgée, mon pantalon était propre, il n'y avait aucune tache.
J'ajoute que je suis bien propriétaire de la Peugeot 304 grise qui a été découverte à mon domicile à Nice, que c'est à bord de cette voiture que j'avais emmené la fillette et que c'est avec cette voiture que j'ai causé un accident qui a immédiatement précédé le moment où j'ai égorgé la fillette. Je viens de résumer l'essentiel des faits; je consens maintenant à donner des détails supplémentaires.
Je maintiens intégralement la déclaration que j'ai faite en dernier lieu aujourd'hui 6 juin 1974 dans les services de police et dont vous venez de me donner intégralement lecture.

J'ai quitté Nice le dimanche 2 juin avec l'intention de me promener pour le week-end sans but bien défini. Je me suis rendu à Draguignan et j'ai passé la nuit de dimanche à lundi dans la voiture un peu plus loin de Draguignan près de Salernes dans le Var. En me réveillant, peut-être vers 9 heures du matin, l'idée m'est venue de poursuivre ma route jusqu'à Marseille où je savais que se trouvait un de mes camarades connu à l'armée. Plus exactement, je rectifie, l'idée m'est venue d'aller à Marseille sans but précis et c'est en arrivant dans cette ville que j'ai pensé à mon camarade Benvenuti et que j'ai voulu aller lui dire bonjour.

Comme je ne connais pas la ville de Marseille, j'ai garé mon véhicule dans une rue dont je n'ai pas relevé le nom, je n'ai pas trop insisté pour retrouver mon camarade et, apercevant deux enfants, un garçon et une fillette jouant sur un trottoir, je me suis approché d'eux. La petite fille portait une chemisette, et un short dont j'ai oublié la couleur.
J'ai abordé les enfants, je leur ai parlé, ils m'ont dit qu'ils s'amusaient. L'idée m'est venue d'emmener la petite fille promener et pour me débarrasser du petit garçon, ou plus précisément. pour ne pas l'emmener lui, car, je considère le mot "débarrasser" trop fort, j'ai invité le petit garçon à rechercher un animal que je prétendais avoir perdu.
Resté seul avec la petite fille, j'ai invité la petite fille à venir se promener à bord de ma voiture après avoir bavardé avec elle un petit moment. Elle m'a suivi sans difficulté. Je ne peux pas expliquer pour quelle raison j'ai préféré emmener la petite fille plutôt que le petit garçon mais j'affirme qu'en agissant de la sorte je n'avais pas de mauvaises intentions à l'égard de la fillette.
Je répète que je ne connais pas le nom de la rue où jouaient les enfants mais j'ai fait un plan des lieux où jouaient les enfants au cours de mon audition devant les services de police. Il s'agit bien du plan que vous me montrez et que j'ai signé.
J'ai rabattu le siège avant de ma voiture pour faire monter la petite fille à l'arrière du véhicule et j'ai démarré dans la direction opposée au centre-ville. J'ai quitté la ville de Marseille sans pouvoir vous dire quelle direction j'ai exactement suivie. Il est évident que je me suis dirigé vers le lieu où l'accident a été constaté par des témoins. Accident sur lequel je vais m'expliquer par la suite.

A un moment donné, je me suis arrêté sur le bord de la route pour fumer une cigarette et j'ai bavardé de choses et d'autres avec la petite fille, lui demandant par exemple si elle allait à l'école. Je ne saurais préciser le nom de l'endroit où je me suis arrêté, je le reconnaîtrais peut-être si j'y retournais. La petite fille ne manifestait aucune crainte à mon égard et je réaffirme que pas plus à ce moment qu'à un autre, je n'ai exercé de violences à caractère sexuel sur la fillette.
Au bout d'un moment, nous sommes remontés en voiture et la petite fille a dit qu elle avait faim, qu'elle voulait retourner chez elle. Je lui ai dit que j'étais d'accord pour la ramener, que j'allais faire demi-tour mais je n'ai pas pu mettre mes intentions à exécution car c'est à ce moment-là que je suis arrivé à un stop à un endroit où la route débouche sur une autre plus importante et que j'ai accroché un autre véhicule.
En effet, j'avais démarré en seconde vitesse et je n'avais pas vu arriver un véhicule sur ma gauche. J'ai senti le choc, j'ai poursuivi ma route appuyant sur l'accélérateur. J'ai ainsi pris la fuite parce que je venais de causer un accident et que j'estimais que cela me coûterait de l'argent, l'idée ne m'étant pas venue qu'on pourrait relever mon numéro d'immatriculation sur le moment. J'ai également pris la fuite parce que j'avais la petite fille à bord de mon véhicule et je craignais que l'on pense à mal si on la trouvait dans ma voiture alors que je l'avais emmenée sans demander aucune autorisatîon à ses parents. Je réaffirme que, en emmenant l'enfant, je n'avais pas de mauvaises intentions, bien que je n'aie pas cru devoir demander aux parents de l'enfant l'autorisation d'emmener celle-ci et bien que j'aie au préalable écarté le petit garçon.

Pensant que l'on pouvait me poursuivre, j'ai quitté mon véhicule en bordure de la route. A ce moment-là, la fillette, qui après le premier arrêt sur la route était passée sur le siège avant, est sortie par la portière droite de mon véhicule. Je suis également sorti par cette portière. J'affirme que la petite fille m'a suivi sans rien dire.
Je l'ai tirée par la main et je lui ai fait sauter une sorte de caniveau se trouvant à cet endroit. J'ai sauté après elle et je l'ai tirée par le bras en haut du talus bordant la route. A un moment donné, la petite fille n'a plus voulu avancer. Elle s'est mise à crier. Je l'ai serrée au cou et je lui ai porté plusieurs coups de couteau. Comme je l'ai déjà dit, ce couteau, je l'ai sorti de la poche de mon pantalon. Tout s'est passé très vite. Je ne me contrôlais plus. J'étais affolé. Pire que ça. Je n'étais plus moi.



Nouvelle contradiction avec les déclarations des Aubert. Maria-Dolorès se serait mise à crier. Or les Aubert, pourtant à proximité immédiate des fourrés, n'ont entendu aucun cri.





Je sais que ce que j'ai fait est affreux, mais je ne peux absolument pas expliquer mon geste. Je réaffirme que, si j'ai agi de la sorte, ce n'est pas parce que j'aurais commis des violences d'ordre sexuel sur la petite comme on pourrait le supposer.
Je réaffirme que mes intentions étaient honnêtes quand j'ai pris l'enfant. Je n'ai commis aucun attouchement sur sa personne. Je ne lui ai pas fait procéder à des attouchements sur ma personne. J'ai emmené la petite fille se promener avec moi par sympathie. Je n'ai demandé aucune autorisation aux parents parce que je comptais seulement emmener l'enfant faire un petit tour. Si j'ai fait faire plusieurs kilomètres à l'enfant à bord de ma voiture, c'est parce qu'elle était contente de se trouver en voiture.

Une fois l'enfant égorgée, je l'ai abandonnée sur le talus après l'avoir recouverte de branchages. J'affirme, ou plus exactement je ne me souviens pas d'avoir frappé sur le crâne de l'enfant avec une pierre. Par contre, je me souviens d'avoir fortement secoué la fillette avec une main, il est possible qu'elle se soit cognée contre le sol au moment où je l'ai secouée, alors qu'elle était allongée par terre.

Presque immédiatement après avoir égorgé l'enfant, j'ai rejoint mon véhicule. J'ai poursuivi ma route et à un moment donné, je me suis engagé sur un chemin situé sur la droite de la route. A un moment donné, j'ai enlevé une barre de fer qui me barrait le passage. Un peu plus loin, je me suis arrêté et j'ai jeté le couteau * avec lequel j'avais porté des coups à l'enfant, j'ai donné un coup de pied au couteau, ce qui a eu pour effet d'enfouir le dit couteau dans la tourbe qui se trouvait à cet endroit.
Je suis remonté à bord de mon véhicule avec l'intention de rejoindre l'entrée d'une galerie se situant à cet endroit pour réparer mon véhicule endommagé par l'accident. J'ai dérapé, je me suis retrouvé au fond de la galerie. J'ai longtemps essayé de sortir de cette galerie. Mais n'y parvenant pas après avoir essayé plusieurs systèmes, au bout de plusieurs heures après la mort de l'enfant, je suis allé chercher du secours. Deux hommes sont venus m'aider.



Nous devons préciser que la mention "le couteau", reproduite ci-dessus avec une *, était suivie du mot "Opinel" qui fut raturé et remplacé dans la marge par "automatique" (mention signée par Christian Ranucci).
Cette confusion de Christian Ranucci est très certainement dûe à son manque de lucidité après ces heures de garde à vue. Elle soulève en tout cas, une nouvelle fois, le problème de la valeur de ces aveux passés puis réitérés dans de telles conditions.

Pourquoi Christian Ranucci aurait-il choisi de s'enterrer dans une galerie à l'accès aussi incertain alors qu'il lui suffisait de s'arrêter à un endroit plus propice à une "fuite" rapide?

Jamais la police ni le juge d'instruction n'ont cherché à éclaircir sa présence dans la galerie, pas plus qu'ils n'ont essayé de savoir pourquoi le couteau aurait été abandonné à cet endroit.





Je ne sais plus si c'est après avoir porté des coups à l'enfant, mes mains étaient tachées de sang. En tout cas, j'ai coupé des branchages. J'ai utilisé de la tourbe pour essayer de dégager mon véhicule. J'ai procédé à tellement d'opérations après les faits que même si mes mains avaient été tachées de sang, ces taches auraient disparu. On m'a dit qu'un pull-over rouge avait été découvert à proximité du lieu où mon véhicule s'est arrêté, j'affirme que ce pull-over ne m'appartient pas.

En résumé, je reconnais avoir pris l'enfant sans prévenir qui que ce soit après avoir éloigné le petit garçon se trouvant avec elle. Je reconnais avoir porté des coups de couteau à l'enfant, l'avoir recouverte de branchages après avoir constaté qu'elle était morte. Je réaffirme que, je ne peux absolument pas expliquer ce que j'ai fait. Je réaffirme que je n'avais pas de mauvaises intentions lorsque j'ai pris l'enfant et qu'elle n'a subi aucune violence de caractère sexuel de ma part.



Quelle valeur donner à des aveux contenant autant de contrevérités et d'incohérences?

Contrevérités, tout d'abord, pour ce qui concerne l'emploi du temps de Christian Ranucci dans la soirée et la nuit du 2 au 3 juin, puis dans la matinée du 3 juin. Pourquoi ce silence sur l'incident du chien, la nuit passée dans les bars du quartier de l'Opéra et la très probable visite à son père, à Allauch?

Incohérences, ensuite, dans le scénario de l'enlèvement et du meurtre de la fillette. Quel serait le mobile de l'enlèvement? Ranucci justifie son geste par une réaction de sympathie à l'égard de Maria-Dolorès, à qui, semble-t-il, il voulait "faire plaisir" en l'emmenant dans sa voiture. Pourquoi dès lors ne pas avoir emmener les deux enfants et recourir au stratagème de la bête qu'il aurait perdue et qu'il faut chercher dans la cité? Ce prétexte contredit en tout cas le reste des aveux car il implique une volonté affirmée d'écarter l'un des deux enfants, rendant fort peu crédible le prétexte de la simple promenade amicale.

Christian Ranucci avoua avoir tué Maria-Dolorès par affolement devant les cris de la fillette. Il ne se contrôlait plus, n'était plus lui et pourtant se souvint qu'il avait un couteau en poche, prit ce couteau, en actionna le mécanisme, lui porta quinze coups, vérifia qu'elle était bien morte, la recouvrit de branchage, remit son couteau en poche puis repensa à va voiture qu'il fallait à présent réparer... Etonnante lucidité !!!

Le problème posé par les aveux de Ranucci est qu'ils n'ont jamais été étayés par la police et le magistrat instructeur. Ils se suffisaient à eux-mêmes. Les policiers n'ont, à aucun moment, cherché à vérifier l'exactitude des aveux par des témoignages ou des preuves concrètes ou simplement à préciser des points importants comme l'endroit précis où Ranucci passa la nuit du 2 au 3 juin, ce qu'il fit dans la matinée du 3 juin, la localisation exacte de l'arrêt cigarette, l'origine du couteau et son enfouissement dans la tourbe, la connaissance ou non par Ranucci de la champignonnière, etc...

En revanche, ce qui ne collait pas aux aveux était systématiquement écarté. Comme l'ont été les déclarations d'Eugène Spinelli et de Jean, le frère de la victime. Ces deux seuls témoins de l'enlèvement n'ont en effet pas reconnu Ranucci, ni sa voiture. Pire. Ils ont donné du ravisseur un portrait qui ne correspondait nullement à celui de l'inculpé, ce qui induisait alors une question essentielle: si Ranucci n'avait pas enlevé Maria-Dolorès, pourquoi l'aurait-il assassinée?

Nous devons nous interroger sur les circonstances qui ont entraîner les aveux de Christian Ranucci: quinze heures d'un interrogatoire très certainement musclé, dans un contexte de pression populaire et médiatique énorme. Christian Ranucci n'étant pas Jeremy Cartland, rien ne devait entraver la volonté des enquêteurs dans la recherche des aveux.

Lorsqu'elle aperçut son fils, après qu'il eût avoué, Madame Mathon remarqua "son visage défait, ses cheveux ébouriffés, ses yeux rouges, dont l'un saignait. Il n'avait plus le même regard. On y lisait de la terreur, de l'horreur, du dégoût". "Il n'était plus le même, il n'était plus lui-même", ajouta-t-elle.

Christian Ranucci venait-il, à cet instant, de réaliser l'absurdité et l'horreur de son geste ou n'offrait-il, à sa mère, que le visage d'un fils à qui l'on avait fait dire ce qu'il n'aurait jamais pu commettre?



Nous avons donné avis à l'inculpé qu'il a le droit de choisir un conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis au stage ou parmi les avoués et qu'à défaut de choix nous lui en ferons désigner un d'office s'il le demande: Je vais réfléchir

Nous avisons l'inculpé que la loi nous autorise à le placer en détention provisoire après avoir recueilli, s'il y a lieu, ses observations ou celles de son conseil.
Nous avisons l'inculpé que par ordonnance motivée ce jour, dont nous lui notifions les termes, nous le plaçons en détention provisoire, et décernons mandat de dépôt.
Nous avons invité l'inculpé à relire sa déclaration telle qu'elle est transcrite et à la signer s'il déclare y persister.
Lecture faite, l'inculpé persiste et signe avec nous et le greffier.


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