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Christian
Ranucci est déféré devant le juge
d'instruction qui procède, sans plus attendre, à l'interrogatoire
de première comparution. |
Après avoir
constaté l'identité du comparant, nous lui avons
fait connaître expressément chacun des faits qui
lui sont imputés et nous lui avons ensuite déclaré
qu'en vertu du réquisitoire de M. le Procureur de
la République en date du 4 et 5 juin 1974, il est
instruit, à son égard, des chefs d'avoir le 3 juin
1974 à Marseille, par fraude enlevé Marie Dolorès
Rambla, mineure âgée de 8 ans. D'avoir courant juin
1974 depuis temps non prescrit sur le territoire
national commis un homicide volontaire sur la personne
de Rambla Marie Dolorès.
Faits prévus et punis par les articles 354, 355,
295 et suivants du Code Pénal, art. 312 Code Pénal
alinéa 10 modifié par l'ord. du 23 décembre
1958.
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Nous
l'avons ensuite averti qu'il est libre de ne faire
aucune déclaration.
Il
a dit: Je consens à m'expliquer
sans l'assistance d'un conseil.
Je
reconnais m'être rendu à Marseille le
lundi de Pentecôte, c'est-à-dire le
3 juin 1974. Je reconnais avoir enlevé une
fillette qui devait être âgée
au maximum de huit ans. Je reconnais avoir au cours
de la même matinée égorgé cette
fillette un peu plus tard dans la matinée à coups
de couteau. Je l'ai égorgée avec un
couteau automatique que j'avais dans ma poche. Ce
couteau, je m'en suis débarrassé après
les faits à l'entrée de la galerie
où je me suis embourbé.
En ce qui me concerne, je n'ai saigné à aucun moment au cours de
la journée du 3 juin. Je me suis seulement égratigné ainsi
que vous pouvez le constater et que vous l'avez déjà constaté au
cours du contrôle de garde à vue. Ces égratignures proviennent
des ronces qui se trouvaient à l'endroit où j'ai égorgé l'enfant
et des ronces qui se trouvaient non loin de la galerie où je me suis embourbé.
Sans pouvoir être formel, je pense donc que, si une tache de sang a été découverte
sur le pantalon trouvé dans ma voiture par les policiers, je pense qu'il
s'agit de sang provenant de la fillette. Avant que l'enfant ne soit égorgée,
mon pantalon était propre, il n'y avait aucune tache.
J'ajoute que je suis bien propriétaire de la Peugeot 304 grise qui a été découverte à mon
domicile à Nice, que c'est à bord de cette voiture que j'avais
emmené la fillette et que c'est avec cette voiture que j'ai causé un
accident qui a immédiatement précédé le moment où j'ai égorgé la
fillette. Je viens de résumer l'essentiel des faits; je consens maintenant à donner
des détails supplémentaires.
Je
maintiens intégralement la déclaration
que j'ai faite en dernier lieu aujourd'hui 6 juin
1974 dans les services de police et dont vous venez
de me donner intégralement lecture.
J'ai
quitté Nice
le dimanche 2 juin avec l'intention de me promener
pour le week-end sans but bien défini. Je
me suis rendu à Draguignan et j'ai passé la
nuit de dimanche à lundi dans la voiture un
peu plus loin de Draguignan près de Salernes
dans le Var. En me réveillant, peut-être
vers 9 heures du matin, l'idée m'est venue
de poursuivre ma route jusqu'à Marseille où je
savais que se trouvait un de mes camarades connu à l'armée.
Plus exactement, je rectifie, l'idée m'est
venue d'aller à Marseille sans but précis
et c'est en arrivant dans cette ville que j'ai pensé à mon
camarade Benvenuti et que j'ai voulu aller lui dire
bonjour.
Comme
je ne connais pas la ville de Marseille, j'ai garé mon
véhicule dans une rue dont je n'ai pas relevé le
nom, je n'ai pas trop insisté pour retrouver
mon camarade et, apercevant deux enfants, un garçon
et une fillette jouant sur un trottoir, je me suis
approché d'eux. La petite fille portait une
chemisette, et un short dont j'ai oublié la
couleur.
J'ai abordé les enfants, je leur ai parlé, ils m'ont dit qu'ils
s'amusaient. L'idée m'est venue d'emmener la petite fille promener et
pour me débarrasser du petit garçon, ou plus précisément.
pour ne pas l'emmener lui, car, je considère le mot "débarrasser" trop
fort, j'ai invité le petit garçon à rechercher un animal
que je prétendais avoir perdu.
Resté seul avec la petite fille, j'ai invité la petite fille à venir
se promener à bord de ma voiture après avoir bavardé avec
elle un petit moment. Elle m'a suivi sans difficulté. Je ne peux pas expliquer
pour quelle raison j'ai préféré emmener la petite fille
plutôt que le petit garçon mais j'affirme qu'en agissant de la sorte
je n'avais pas de mauvaises intentions à l'égard de la fillette.
Je répète que je ne connais pas le nom de la rue où jouaient
les enfants mais j'ai fait un plan des lieux où jouaient les enfants au
cours de mon audition devant les services de police. Il s'agit bien du plan que
vous me montrez et que j'ai signé.
J'ai rabattu le siège avant de ma voiture pour faire monter la petite
fille à l'arrière du véhicule et j'ai démarré dans
la direction opposée au centre-ville. J'ai quitté la ville de Marseille
sans pouvoir vous dire quelle direction j'ai exactement suivie. Il est évident
que je me suis dirigé vers le lieu où l'accident a été constaté par
des témoins. Accident sur lequel je vais m'expliquer par la suite.
A
un moment donné, je me suis arrêté sur
le bord de la route pour fumer une cigarette et j'ai
bavardé de choses et d'autres avec la petite
fille, lui demandant par exemple si elle allait à l'école.
Je ne saurais préciser le nom de l'endroit
où je me suis arrêté, je le reconnaîtrais
peut-être si j'y retournais. La petite fille
ne manifestait aucune crainte à mon égard
et je réaffirme que pas plus à ce moment
qu'à un autre, je n'ai exercé de violences à caractère
sexuel sur la fillette.
Au bout d'un moment, nous sommes remontés en voiture et la petite fille
a dit qu elle avait faim, qu'elle voulait retourner chez elle. Je lui ai dit
que j'étais d'accord pour la ramener, que j'allais faire demi-tour mais
je n'ai pas pu mettre mes intentions à exécution car c'est à ce
moment-là que je suis arrivé à un stop à un endroit
où la route débouche sur une autre plus importante et que j'ai
accroché un autre véhicule.
En effet, j'avais démarré en seconde vitesse et je n'avais pas
vu arriver un véhicule sur ma gauche. J'ai senti le choc, j'ai poursuivi
ma route appuyant sur l'accélérateur. J'ai ainsi pris la fuite
parce que je venais de causer un accident et que j'estimais que cela me coûterait
de l'argent, l'idée ne m'étant pas venue qu'on pourrait relever
mon numéro d'immatriculation sur le moment. J'ai également pris
la fuite parce que j'avais la petite fille à bord de mon véhicule
et je craignais que l'on pense à mal si on la trouvait dans ma voiture
alors que je l'avais emmenée sans demander aucune autorisatîon à ses
parents. Je réaffirme que, en emmenant l'enfant, je n'avais pas de mauvaises
intentions, bien que je n'aie pas cru devoir demander aux parents de l'enfant
l'autorisation d'emmener celle-ci et bien que j'aie au préalable écarté le
petit garçon.
Pensant
que l'on pouvait me poursuivre, j'ai quitté mon
véhicule en bordure de la route. A ce moment-là,
la fillette, qui après le premier arrêt
sur la route était passée sur le siège
avant, est sortie par la portière droite de
mon véhicule. Je suis également sorti
par cette portière. J'affirme que la petite
fille m'a suivi sans rien dire.
Je l'ai tirée par la main et je lui ai fait sauter une sorte de caniveau
se trouvant à cet endroit. J'ai sauté après elle et je
l'ai tirée par le bras en haut du talus bordant la route. A un moment
donné, la petite fille n'a plus voulu avancer. Elle s'est mise à crier.
Je l'ai serrée au cou et je lui ai porté plusieurs coups de couteau.
Comme je l'ai déjà dit, ce couteau, je l'ai sorti de la poche
de mon pantalon. Tout s'est passé très vite. Je ne me contrôlais
plus. J'étais affolé. Pire que ça. Je n'étais plus
moi.
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Nouvelle
contradiction avec les déclarations des Aubert.
Maria-Dolorès se serait mise à crier.
Or les Aubert, pourtant à proximité immédiate
des fourrés, n'ont entendu aucun cri.
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Je sais que
ce que j'ai fait est affreux, mais je ne peux absolument
pas expliquer mon geste. Je réaffirme que,
si j'ai agi de la sorte, ce n'est pas parce que j'aurais
commis des violences d'ordre sexuel sur la petite
comme on pourrait le supposer.
Je réaffirme que mes intentions étaient honnêtes quand j'ai
pris l'enfant. Je n'ai commis aucun attouchement sur sa personne. Je ne lui ai
pas fait procéder à des attouchements sur ma personne. J'ai emmené la
petite fille se promener avec moi par sympathie. Je n'ai demandé aucune
autorisation aux parents parce que je comptais seulement emmener l'enfant faire
un petit tour. Si j'ai fait faire plusieurs kilomètres à l'enfant à bord
de ma voiture, c'est parce qu'elle était contente de se trouver en voiture.
Une
fois l'enfant égorgée,
je l'ai abandonnée sur le talus après
l'avoir recouverte de branchages. J'affirme, ou plus
exactement je ne me souviens pas d'avoir frappé sur
le crâne de l'enfant avec une pierre. Par contre,
je me souviens d'avoir fortement secoué la
fillette avec une main, il est possible qu'elle se
soit cognée contre le sol au moment où je
l'ai secouée, alors qu'elle était allongée
par terre.
Presque
immédiatement
après avoir égorgé l'enfant,
j'ai rejoint mon véhicule. J'ai poursuivi
ma route et à un moment donné, je me
suis engagé sur
un chemin situé sur la droite de la route.
A un moment donné, j'ai enlevé une
barre de fer qui me barrait le passage. Un peu plus
loin, je me suis arrêté et j'ai jeté le
couteau * avec lequel j'avais porté des
coups à l'enfant, j'ai donné un coup
de pied au couteau, ce qui a eu pour effet d'enfouir
le dit couteau dans la tourbe qui se trouvait à cet
endroit.
Je suis remonté à bord de mon véhicule avec l'intention
de rejoindre l'entrée d'une galerie se situant à cet endroit
pour réparer mon véhicule endommagé par l'accident. J'ai
dérapé, je me suis retrouvé au fond de la galerie. J'ai
longtemps essayé de sortir de cette galerie. Mais n'y parvenant pas
après avoir essayé plusieurs systèmes, au bout de plusieurs
heures après la mort de l'enfant, je suis allé chercher du secours.
Deux hommes sont venus m'aider.
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Nous devons
préciser que la mention "le couteau",
reproduite ci-dessus avec une *, était suivie du
mot "Opinel" qui fut raturé et remplacé dans la marge
par "automatique" (mention signée par Christian Ranucci).
Cette confusion
de Christian Ranucci est très certainement dûe à
son manque de lucidité après ces
heures
de garde
à vue. Elle soulève en tout cas, une nouvelle fois,
le problème de la valeur de ces aveux passés puis réitérés
dans de telles
conditions.
Pourquoi
Christian Ranucci aurait-il choisi de s'enterrer
dans une galerie à l'accès aussi incertain
alors qu'il lui suffisait de s'arrêter à un
endroit plus propice à une "fuite" rapide?
Jamais
la police ni le juge d'instruction n'ont cherché à éclaircir
sa présence dans la galerie, pas plus qu'ils
n'ont essayé de savoir pourquoi le couteau
aurait été abandonné à cet
endroit.
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Je ne sais plus si c'est après avoir porté des
coups à l'enfant, mes mains étaient tachées de sang. En
tout cas, j'ai coupé des branchages. J'ai utilisé de la tourbe
pour essayer de dégager mon véhicule. J'ai procédé à tellement
d'opérations après les faits que même si mes mains avaient été tachées
de sang, ces taches auraient disparu. On m'a dit qu'un pull-over rouge avait été découvert à proximité du
lieu où mon véhicule s'est arrêté, j'affirme que ce
pull-over ne m'appartient pas.
En
résumé,
je reconnais avoir pris l'enfant sans prévenir
qui que ce soit après avoir éloigné le
petit garçon se trouvant avec elle. Je reconnais
avoir porté des coups de couteau à l'enfant,
l'avoir recouverte de branchages après avoir
constaté qu'elle était morte. Je réaffirme
que, je ne peux absolument pas expliquer ce que j'ai
fait. Je réaffirme que je n'avais pas de mauvaises
intentions lorsque j'ai pris l'enfant et qu'elle
n'a subi aucune violence de caractère sexuel
de ma part.
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Quelle
valeur donner à des aveux contenant autant
de contrevérités et d'incohérences?
Contrevérités,
tout d'abord, pour ce qui concerne l'emploi du
temps de Christian Ranucci dans la soirée
et la nuit du 2 au 3 juin, puis dans la matinée
du 3 juin. Pourquoi ce silence sur l'incident du
chien, la nuit passée dans les bars du quartier
de l'Opéra et la très probable visite à son
père, à Allauch?
Incohérences,
ensuite, dans le scénario de l'enlèvement
et du meurtre de la fillette. Quel serait le mobile
de l'enlèvement? Ranucci justifie son geste
par une réaction de sympathie à l'égard
de Maria-Dolorès, à qui, semble-t-il,
il voulait "faire plaisir" en l'emmenant
dans sa voiture. Pourquoi dès lors ne pas
avoir emmener les deux enfants et recourir au stratagème
de la bête qu'il aurait perdue et qu'il faut
chercher dans la cité? Ce prétexte
contredit en tout cas le reste des aveux car il
implique une volonté affirmée d'écarter
l'un des deux enfants, rendant fort peu crédible
le prétexte de la simple promenade amicale.
Christian
Ranucci avoua avoir tué Maria-Dolorès
par affolement devant les cris de la fillette.
Il ne se contrôlait plus, n'était
plus lui et pourtant se souvint qu'il avait un
couteau en poche, prit ce couteau, en actionna
le mécanisme, lui porta quinze coups, vérifia
qu'elle était bien morte, la recouvrit de
branchage, remit son couteau en poche puis repensa à va
voiture qu'il fallait à présent réparer...
Etonnante lucidité !!!
Le
problème posé par les aveux de Ranucci
est qu'ils n'ont jamais été étayés
par la police et le magistrat instructeur. Ils
se suffisaient à eux-mêmes. Les policiers
n'ont, à aucun moment, cherché à vérifier
l'exactitude des aveux par des témoignages
ou des preuves concrètes ou simplement à préciser
des points importants comme l'endroit précis
où Ranucci passa la nuit du 2 au 3 juin,
ce qu'il fit dans la matinée du 3 juin,
la localisation exacte de l'arrêt cigarette,
l'origine du couteau et son enfouissement dans
la tourbe, la connaissance ou non par Ranucci de
la champignonnière, etc...
En
revanche, ce qui ne collait pas aux aveux était
systématiquement écarté. Comme
l'ont été les déclarations
d'Eugène Spinelli et de Jean, le frère
de la victime. Ces deux seuls témoins de
l'enlèvement n'ont en effet pas reconnu
Ranucci, ni sa voiture. Pire. Ils ont donné du
ravisseur un portrait qui ne correspondait nullement à celui
de l'inculpé, ce qui induisait alors une
question essentielle: si Ranucci n'avait pas enlevé Maria-Dolorès,
pourquoi l'aurait-il assassinée?
Nous
devons nous interroger sur les circonstances qui
ont entraîner les aveux de Christian Ranucci:
quinze heures d'un interrogatoire très certainement
musclé, dans un contexte de pression populaire
et médiatique énorme. Christian Ranucci
n'étant pas Jeremy Cartland, rien ne devait
entraver la volonté des enquêteurs
dans la recherche des aveux.
Lorsqu'elle
aperçut son fils, après qu'il eût
avoué, Madame Mathon remarqua "son
visage défait, ses cheveux ébouriffés,
ses yeux rouges, dont l'un saignait. Il n'avait
plus le même regard. On y lisait de la terreur,
de l'horreur, du dégoût". "Il
n'était plus le même, il n'était
plus lui-même", ajouta-t-elle.
Christian
Ranucci venait-il, à cet instant, de réaliser
l'absurdité et l'horreur de son geste ou
n'offrait-il, à sa mère, que le visage
d'un fils à qui l'on avait fait dire ce
qu'il n'aurait jamais pu commettre?
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Nous
avons donné avis à l'inculpé qu'il a le droit de
choisir un conseil parmi les avocats inscrits au
tableau ou admis au stage ou parmi les avoués et
qu'à défaut de choix nous lui en ferons désigner
un d'office s'il le demande: Je
vais réfléchir
Nous
avisons l'inculpé que la loi nous autorise à le placer
en détention provisoire après avoir
recueilli, s'il y a lieu, ses observations ou celles
de son conseil.
Nous avisons l'inculpé que par ordonnance motivée
ce jour, dont nous lui notifions les termes, nous
le plaçons en détention provisoire, et décernons
mandat de dépôt.
Nous avons invité l'inculpé à relire sa déclaration
telle qu'elle est transcrite et à la signer s'il
déclare y persister.
Lecture faite, l'inculpé persiste et signe
avec nous et le greffier.
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