Coupable ou innocent à tout prix Affaire Tangorre

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Renault 4 L     Joseph Tangorre suit les gendarmes, de son domicile jusqu'à la caserne des Plombières, au volant de sa voiture, la 4 L verte que Luc lui a rendue en juillet.

    Il se gare dans la cour de la caserne. Les gendarmes veulent examiner le véhicule, car, on s'en souvient, les deux victimes en ont donné une description précise: le côté gauche de la carrosserie porte des traces d'éraflures, le pare-chocs arrière est déformé, le bouton-poussoir de la portière arrière-droite manque.

    — Je crois bien qu'il était en place lorsque j'ai prêté la voiture à mon fils, précise Joseph Tangorre.

    Les gendarmes se livrent à une fouille minutieuse, passent un aspirateur muni de filtres spéciaux dans l'habitacle. Pour vérifier si la jauge d'esence est en bon état de marche (l'une des victimes a constaté que, sur La 4 L de leur agresseur, la jauge restait immobile), ils font vidanger le réservoir puis procédent au remplissage jusqu'à la position maximum: elle fonctionne.

    Dans le coffre, on découvre une couverture écossaise et deux bidons d'huile.

    — la couverture, je l'avais laissée à mon fils lorsqu'il a déménagé. Elle a servi à protéger un meuble avec une glace qui lui venait de sa grand-mère.

    — Et les bidons?

    — Je crois bien les avoir achetés sur l'autoroute le jour du déménagement. (Joseph Tangorre fait un effort pour se souvenir... Soudain, un sourire) C'est bien ça! Je les ai achetés ensemble, je m'en souviens très bien parce que je m'étais étonné de les avoir payés le même prix alors que l'un contient cinq litres et l'autre seulement deux.

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    La 4 L est placée sous scellés, elle sera conduite pour la suite de l'enquête à la gendarmerie de Nîmes.

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    Les experts viennent à Nîmes et, sous la direction des gendarmes, fouillent une nouvelle fois la 4 L verte. Luc Tangorre et son défenseur, Me Vidal-Naquet, assistent à la perquisition. La première n'a pas dû être faite avec beaucoup d'attention car on retrouve d'abord sous le siège un flacon de vernis à ongles, puis des poils et des cheveux un peu partout sur la banquette arrière et sur le tapis au fond du coffre, cinq sacs en plastique portant la marque Cigale, un crayon dans le vide-poche. On prélève de l'huile sur la banquette arrière côté coffre ainsi que sur le tapis du sol, on découpe même un morceau de skaï du siège du passager qui présente une trace suspecte.

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    En comparant les éléments rapportés par les deux jeunes filles avec ceux qui pouvaient être observés dans sa propre voiture, s'il était l'agresseur, Tangorre étaye encore sa conviction d'une machination. Il relève vingt et un éléments susceptibles d'être constatés dans la 4 L verte, si les faits se sont réellement déroulés.

    1) Le numéro d'immatriculation; 2) la chevalière; 3) les initiales sur cette chevalière; 4) le titre du livre; 5) le polo Lacoste jaune; 6) le jean blanc; 7) les chaussures gris et noir Nike; 8) les chaussettes blanches; 9) la montre; 10) les lunettes; 11) l'attachécase; 12) les livres Coupable à tout prix; 13) la pochette portefeuille; 14) la couverture écossaise; 15) les bidons d'huile; 16) la poignée de la porte arrière droite cassée; 17) le siège avant en similicuir marron; 19) les vignettes; 19) la jauge d'essence; 20) le slip; 21) la banquette arrière non arrimée.

    Il constate que ces éléments sont visibles de la rue. Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil à l'intérieur de la voiture, ou à guetter Luc Tangorre qu'on sait où trouver. En revanche, cette observation de l'extérieur ne suffirait pas pour découvrir que la banquette arrière n'est pas fixée, ni pour déterminer la couleur de son slip. Enfin, le seul élément fonctionnel du véhicule décrit est la jauge d'essence et cette description se révèle inexacte.

    Tout ce que les jeunes filles ont noté peut avoir été observé sans qu'elles soient entrées dans la voiture et, quand il aurait fallu entrer, elles font des erreurs. Ainsi la banquette.

    Depuis qu'il a pris connaissance des déclarations des plaignantes, Luc Tangorre souligne une «impossibilité»: la banquette arrière n'est pas fixée car elle a été achetée d'occasion par les Tangorre et posée en remplacement de la banquette d'origine qui était crevée. Ce n'est qu'en essayant de la fixer que Luc Tangorre s'est aperçu que ses crochets de fixation ne corresponlaient pas avec ceux de la voiture. La banquette était lonc instable. Tous ceux qui étaient montés à l'arrière en avaient fait l'expérience. Au moindre virage, il fallait se tenir pour ne pas tomber.

    Le père de Luc avait essayé de faire constater aux gendarmes et au juge cette anomalie qui était en contradiction avec les déclarations des deux Américaines. Ce n'est que le jour du procès que le président Maleval posa la question à deux témoins, Mmes Dufraisse et Piazza qui, le 23 mai, avaient pris place sur cette banquette pour visiter Marseille. Toutes deux se souviennent qu'elle bougeait, «ce qui provoquait nos rires dans les tournants», raconte l'une d'elles.

    — Pourquoi ne l'avez-vous jamais dit ? interroge le résident.

    — Lorsque j'ai été interrogée par les gendarmes, répond Mme Dufraisse, ils ne me l'ont pas demandé. Sinon, j'aurais dit ce que je vous dis aujourd'hui.



    Luc Tangorre fait la même constatation à propos d'un arrêt, le 23 mai, dans une station-service de Berre pour prendre de l'essence.

    Dès qu'il a eu connaissance du dossier, il écrit au juge le 24 décembre pour lui signaler « cette contradiction majeure ». Il avait fait, le matin même de ce 23 mai, le plein d'essence en présence d'une bonne dizaine de témoins : la famille venue assister au baptême et qui, répartie dans trois véhicules, visitait Marseille, guidée par Luc Tangorre. Il ne pouvait pas avoir repris de l'essence l'après-midi alors qu'il avait roulé au plus une quarantaine de kilomètres. L'inculpé demandait au juge de vérifier auprès de ceux qui étaient présents le matin: onze personnes se trouvaient là lorsqu'il avait fait le plein. Le 4 janvier, il écrit une deuxième lettre.

    Le 10 janvier, une troisième.

    Le 24 janvier, à la demande de Luc Tangorre, l'un des témoins, Mme Dufraisse, écrit au juge pour confirmer : Luc s'est bien arrêté pour faire le plein ce matin-là, c'est elle et Mme Piazza qui lui ont donné cent francs pour payer l'essence.

    Le 30 janvier, Gisèle Tichané, ancienne propriétaire de la 4 L verte, précise:

    — Quand je faisais le plein, c'étaient vingt litres!

    Le 1er février, Tangorre revient à la charge:

    —Je ne comprends pas la nouvelle résistance de l'instruction à faire établir cette preuve capitale de mon innocence.

    Le 20 février, le juge fait entendre trois témoins qui, le 23 mai au matin, avaient pris place dans la 4 L de Tangorre. Mmes Dufraisse et Piazza confirment : on a bien fait le plein avant de visiter les Calanques. Le troisième témoin, Pierre, ne pourra pas répondre aux questions des gendarmes. Cet enfant de dix ans est sourd- muet.

    Huit autres personnes se trouvant dans les deux véhicules qui ont attendu pendant que Luc faisait le plein pourraient apporter le même témoignage. Le juge, se considérant sans doute suffisamment informé, ne les fera pas entendre.

Roger Colombani - Les ombres d'un dossier



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