Entretien: Alain Rabineau
Dernière mise à jour: 23 Octobre 2007

 



5- Comment avez vous connu Ranucci?

 C'est simple, issus de la même classe , la 73/04 et affectés au 8eme groupe semi -disciplinaire à Wietlich en Allemagne, nous avons passé un an ensemble là bas. En fait, une fois arrivés à l'armée, les hommes étaient classés par ordre alphabétique. Il y avait 30 hommes par section. Une section se composait de 4 groupes. Chaque groupe se trouvait réparti dans une chambrée de 10 lits. C.Ranucci et moi avons atterri dans le 4 ème groupe de notre section. (la première section) Et chaque groupe était composé de deux équipes: une équipe "choc" et une équipe "feu". Nous étions tous les deux dans l'équipe "feu". Je me souviens par exemple que Ranucci a eu un lance roquette parce que le fusil mitrailleur était trop lourd pour lui. Nous avons donc fait connaissance dans ces circonstances. Rien ne me portait particulièrement à être proche de lui, à la vérité, et d'ailleurs je n'étais pas plus « attiré » par lui que vers un autre ; disons juste qu'il occupait le lit qui se trouvait à côté du mien ; de fil en aiguille, forcément, lorsque vous côtoyez des hommes au jour le jour, vous finissez par nouer des liens. Il se trouvait en plus qu'il habitait Nice et lorsque vous trouvez , dans un lieu éloigné de chez vous et de surcroît inconnu, des personnes qui résident dans la même ville que vous , vous êtes amené à tisser certains liens.

6- Pouvez vous nous parler de Christian Ranucci, celui que vous avez connu personnellement... le but étant de recueillir le sentiment et l'avis d'une personne qui l'a côtoyé et de le comparer avec l'image dressé par l'enquête et les journaux. Que pouvez vous nous apprendre sur sa personnalité?

J’ai conservé de lui le souvenir d’un garçon sympathique. Il était sociable avec difficulté me semble-t-il, secret, timide, ayant peu vécu d’expériences de nos âges, ce qui rendait difficile le dialogue. Je me voyais mal par exemple raconter mes virées personnelles ; je sentais d'emblée que nous n'aurions pas été sur la même longueur d'ondes sur ce plan et que cela ne l'intéressait pas. D’autre part les trois premiers mois du service militaire nous éreintaient, et nous n’avions guère le temps de nous lancer dans de grandes discussions. La question est complexe et traverse bien des questions que vous pouvez me poser. L’intelligence du crime, il ne m’a jamais donné l’occasion de la voir chez lui. Il aimait plaisanter, mais pas plus. Manipulateur? je me suis souvent posé la question depuis 1974, et je n’ai pas la réponse. Il m’avait parlé de sa situation de famille. Je ne le qualifierais pas de charismatique mais disons...non dénué d’un certain charme parce qu’il était surprenant dans ses paroles et dans ses actes. Il était plutôt calme mais avec des réactions parfois brutales ou surprenantes, comme la manifestation explosive et soudaine de pensées rentrées et contenues un moment. Que dire de plus ....Il était plutôt souple de caractère, assez timide, conciliant aussi, pas spécialement acide ou ironique vis à vis des gens ou des choses en général, plutôt naif et candide mais sans excès non plus. Il avait tout simplement l'insouciance des 20 ans, je crois. Il était assez immature . Je n'ai pas le sentiment qu'il se projettait spécialement dans l'avenir. Les types là bas (et cela n'est pas propre à Ranucci ) étaient très jeunes , il s'agissait de gosses qui vivaient leur "expérience armée" comme décalée de la vie réelle, sans en voir d'ailleurs la finalité. Ils étaient là, vivaient au jour le jour sans se poser trop de questions. Ranucci était de ceux qui suivaient le mouvement sans trop se poser de questions. Il parvenait à communiquer assez difficilement avec les autres adultes, en dehors des détails matériels indispensables à la vie de tous les jours.

 

7- Quels étaient vos sujets de conversation?

Très franchement, nous étions assez jeunes, et nous nous sommes connus dans des conditions très spéciales: l'armée. L'armée , comme la prison d'ailleurs, ont pour effet de destructurer puis de formater les esprits. Alors forcément, il est difficile dans ces conditions d'aborder des sujets variés, de se lancer dans des conversations nourries et philosophiques, voire même de parler de la vie elle-même. Le plus souvent, nous étions crevés par nos journées et nous n'avions ni l'envie ni la force de réfléchir.Dès lors, les sujets de conversations tournaient autour de l'armée, des sorties, de nos tâches quotidiennes, ce genre de choses...Les sujets de conversation étaient très limités; Cela tournait autour des servitudes militaires principalement. Les relations sont décousues et souvent destructurées. Il arrivait que nous ayions des fous rires par exemple, aidés en cela par l'insouciance de nos 20 ans.

8- Comment selon vous Ranucci vivait-il son service militaire?

Pour ce que j’en ai vu, normalement. Mais il a quand même fait 9 mois d’armurerie. Après avoir fait ses classes , comme les autres, Ranucci est resté 1ere classe; il a donc "échoué" aux classes pour des raisons qui me sont encore inconnues et qui sont mystérieuses. L'échec était tout de même plutôt rare. Ensuite, nous avons fait les manoeuvres ensemble. Puis, Ranucci a atterri, à l'armurerie, à la 3 eme compagnie. Quant à moi, j'étais à la 11eme compagnie, au commandement. Donc, nous avons eu à partir de là moins de rapports, vu que nos rencontres étaient plus rares. Il nous est arrivé de faire quelques sorties ensemble en groupe. Wietlich était une ville de caserne , peu animée. Les samedis , nous faisions parfois le tour des bars, certaines sorties nous étaient parfois proposées , histoire de se changer les idées. Ranucci était de la partie parfois; il tenait bien l'alcool.

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