Entretien: Jean-François Le Forsonney
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 

 

 

 

- N'avez-vous jamais perçu, dans son discours ou son attitude, la moindre faille qui aurait pu laisser entrevoir une simulation de sa part?

Son attitude me paraissait sincère. Quand je lui ai dit, avant l'audience des assises, "on va avoir un problème avec votre couteau, s'il est bien à vous", il m'a regardé avec le même air de convivialité que vous en me disant: "oui, c'est vrai, vous avez raison, je vais dire qu'il n'est pas à moi". Je lui ai alors dit: "attendez, ce n'est pas ce que je vous dis, mais cela ne vous gêne pas?". Et il m'a répondu: "oui, mais je n'en sais rien... Mais vous avez raison, il vaut mieux dire qu'il n'est pas à moi."
J'en conclus que si c'était un pervers, il l'était fortement. Et ce n'était qu'un gamin de vingt ans.

Les psychiatres distinguent dans l'attitude d'un individu par rapport à quelque chose qui lui est reproché, deux axes qui ne doivent pas, disent-ils, être confondus: l'axe du mensonge et l'axe du déni.
Si vous volez mon briquet et que vous dites ensuite que ce n'est pas vous, vous savez que vous mentez. C'est l'axe du mesonge. En revanche, lorsque vous commettez un acte épouvantable puis que vous affirmez que ce n'est pas vous, en croyant ce que vous dites, vous êtes dans le déni. Vous refusez psychologiquement d'accepter ce que l'on vous reproche.
Nous rencontrons beaucoup de gens qui sont dans le déni. Ils ne mentent pas. A leurs yeux, ils sont innocents; ils refusent, au sens propre du terme, leur culpabilité, car endosser la responsabilité de leur acte leur serait trop insupportable. L'un des signes du déni est également le pinaillage sur des détails. L'individu ne vous donne aucune explication rationnelle sur le fond, il va plutôt pinailler sur des détails sans la moindre importance. Mais seul un psychiatre peut distinguer le déni du mensonge, pas un avocat.
Ranucci était-il dans le déni ou le mensonge? Je ne peux vous répondre. Je ne l'ai en tout cas jamais pris en flagrant délit, à mon égard, de duplicité. Jamais, jamais. C'est quand même un point capital.

- Le plus troublant, dans la démarche intellectuelle de Christian Ranucci, est de n'avoir cherché qu'à se convaincre, lui, de son innocence, puis d'avoir estimé que sa propre certitude devait être partagée et devait s'imposer aux autres.

C'est très juste et c'est tout le problème de ce garçon.
Lors de notre premier entretien, il ne niait pas sa culpabilité puisqu'il me disait: "c'est obligatoirement moi car des témoins m'ont reconnu."
Mais à partir du moment où, à ses yeux, des éléments pouvaient détruire ces témoignages, il en concluait qu'il n'était pas coupable et que la cour d'assises allait être une apothéose et qu'on allait lui dire: "Monsieur, excusez-nous." Aussi n'a-t-il pas cherché à être sympathique lors du procès, où il fut odieux.

- Ceci n'explique-t-il pas qu'il ait donné le sentiment d'être en perpétuel décalage avec la réalité de sa situation?

C'est le problème de tous les gens dans sa situation. Vous savez, c'est un traumatisme fort d'être accusé d'un crime et d'être incarcéré, sans commune mesure avec les traumatismes auxquels nous pouvons être confrontés dans notre vie quotidienne. Car nous sommes distraits, au sens éthymologique du terme, de ces soucis par nos obligations professionnelles ou autres. Alors qu'un détenu, accusé d'un crime, est dans une bulle et, toute la journée, il ne pense qu'à cela. Rien ne le distrait. Donc la vision qu'il a de sa situation est nécessairement un peu troublée.

Pour en revenir à la personnalité de Ranucci et au crime dont il a été reconnu coupable, tuer un enfant est une transgression grave mais enlever un enfant ne l'est pas moins. Les expertises psychiatriques doivent donc, à mon avis, trouver, à l'intérieur d'un individu, des traces qui expliquent ce comportement. On ne peut pas vivre normalement pendant vingt ans et basculer tout d'un coup. Ranucci a eu une enfance un peu balottée, mais comme nombre de gens, ce qui n'en fait pas des tueurs de petite fille. Il a eu des petites amies, a fait normalement son service militaire; il avait été élevé par une mère qui était un peu mère poule. Mais je n'ai jamais obtenu d'explication rationnelle sur l'enlèvement ou plutôt la prise en charge de cette gosse. Et rien chez Ranucci n'a été décelé psychiatriquement qui puisse expliquer qu'il ait pu enlever cette enfant.
Ses rapports avec moi étaient sincères, souriants, détendus. Une confiance s'était même installée entre nous. Je vous assure que c'était très préoccupant.

Page précédente
   
copyrightfrance