Entretien: Jean-François Le Forsonney
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 

 
 

Le procès d'assises



- Estimez-vous que ce fut une erreur de plaider l'innocence face au climat de haine qui entourait le procès et à l'attitude de Christian Ranucci, dont vous vous doutiez certainement qu'elle ne jouerait pas en sa faveur?

C'est la grande question. Mais quel est le devoir de l'avocat? Est-ce de plaider la version qu'il croit stratégiquement la meilleure?
Fraticelli voulait le faire. Il voulait qu'on plaide les circonstances atténuantes et que Ranucci reconnaisse sa culpabilité, en espérant qu'on obtienne la perpétuité.
Je me risque à vous dire que si nous l'avions suivi, nous aurions peut-être obtenu les circonstances atténuantes et lui aurions évité la guillotine. Peut-être. Il y avait sept chances sur dix que ça marche. Mais il y avait aussi trois chances sur dix que cela ne marche pas.
Encore fallait-il convaincre Ranucci. Car nous ne pouvions plaider sa culpabilité et les circonstances atténuantes sans son accord. Et persuader son client de reconnaître sa culpabilité pour le meurtre d'une enfant de huit ans, ce n'est pas évident.
Si nous arrivions à le persuader du bien-fondé de cette stratégie, et que nous obtenions gain de cause, tant mieux. Mais si nous échouions, que nous aurait-il dit? "Je suis innocent, vous m'avez convaincu de plaider ma culpabilité alors que je ne pense pas être coupable et maintenant ils viennent de me condamner à mort."
Qu'aurions-nous fait?

- Christian Ranucci n'aurait pas accepté que vous plaidiez sa culpabilité?

Jamais. Par conséquent, pouvait-on déontologiquement se séparer de lui à l'audience? Vous savez, nous sommes allés à l'audience complètement paniqués. Pourquoi? Parce que nous n'avions pas de plan de secours. Notre plan comportait les éléments suivants: il est innocent; la portière, le couteau, la champignonnière posent problème. Nous devions également expliquer son attitude, pourquoi il avait avoué; nous en avions des choses à expliquer. C'aurait été tellement plus simple de dire à la cour: "ce garçon, en toute innocence, a fait monter une gosse dans sa voiture; il a eu un accident; il s'est affolé; la gosse a crié et il l'a tuée. Mais il a vingt ans. Et on ne guillotine pas un garçon de vingt ans. On l'enferme en prison. Vous avez, dans cette affaire, des éléments de doute qui pourront s'éclairer dans quelques années. Ne le privez pas d'une chance de révision."
Ca passait peut-être. Je serais tenté de vous dire que cela passerait aujourd'hui, mais à l'époque, c'était de l'hystérie contre lui..

- Vouloir plaider son innocence et en même temps demander une encéphalographie gazeuse, n'était-ce pas inconciliable?

Bien sûr que c'était inconciliable, mais d'un autre côté nous devions aussi nous demander si ce garçon était bien normal.
Si je plaidais aujourd'hui cette affaire, je la plaiderais d'une façon radicalement différente. Je tenterais d'abord d'installer avec le jury un rapport, non pas de complicité, le mot est péjoratif, mais de connivence intellectuelle, qui consiste à dire aux jurés: "Avant de plaider, nous devons discuter avec notre client. Je vais vous dire: j'ai un problème avec ce garçon, le même problème que vous, et qui est de dire: d'accord, vous êtes innocent, mais alors expliquez-moi ce qui s'est passé. Mais il ne l'explique pas. Et mon devoir est d'attirer votre attention sur le fait qu'il y a dans ce dossier des éléments de doute suffisants pour que vous évitiez des sanctions définitives."
Malheureusement nous n'avons pu installer ce rapport. De plus Ranucci a été absolument odieux à l'audience.
Par conséquent, envisager l'hypothèse qu'il n'était pas normal, pour simplifier, en demandant l'encéphalographie gazeuse tout en plaidant l'innocence, c'était évidemment un jeu perdu d'avance, et d'ailleurs on l'a perdu. Mais Ranucci n'aurait jamais accepté qu'on plaide les circonstances atténuantes.

- Après l'incident des procès-verbaux en fin de session, tout le monde a cru à la cassation.

Oui, j'avais fait ajouter au procès-verbal des débats que ces pièces ne nous avaient pas été communiquées dans le cadre de l'instruction. Nous avons donc cru tenir un bon moyen de cassation.
La Cour de cassation n'a pas accepté car je crois qu'elle n'a pas eu le courage de casser. Pourtant elle aurait dû le faire. Dans tous les pays civilisés, c'aurait été un moyen de cassation. Mais elle n'a pas osé.
Tous les professionnels croyaient d'ailleurs que le jugement serait cassé mais aussi que Christian Ranucci serait grâcié. Et je pense que le jury croyait également qu'il le serait. Malheureusement ce ne fut pas le cas.

- J'ai toujours eu le sentiment que vous éprouviez, à l'égard de Paul Lombard, de la rancune pour vous avoir refusé de l'accompagner à l'Elysée.

Oui, car autant mon inexpérience m'avait handicapé au cours de la procédure et m'avait empêché d'être à la hauteur de l'évènement, autant je pensais qu'elle constituait avec mon jeune âge un formidable atout au stade du recours en grâce. Lombard en convient d'ailleurs aujourd'hui.
J'aurais voulu dire au Président de la République: ""Si le recours en grâce existe, c'est parce que c'est un droit régalien, au sens historique du terme, c'est-à-dire qu'à un moment il faut confier au prince la compétence et la possibilité pour interférer entre ce que réclame l'opinion publique, ce que justifie peut-être l'institution judiciaire, et les considérations d'humanité, de civilisation. Ce gosse a vingt ans; il y a, dans ce dossier, des éléments quand même un peu bizarres. Et puis le grâcier ne veut pas dire qu'il va sortir de prison. Ce n'est qu'une mesure de clémence qui laisse la porte ouverte à un procès en révision". Voilà ce que j'aurais essayé de lui dire et je me sentais capable de le faire bien plus efficacement que Paul Lombard. Oui, je lui en ai voulu d'y aller tout seul.

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