Entretien: Jean KER
Dernière mise à jour:  10 janvier 2012

 

 

                                 

           QUESTIONNAIRE D'ORDRE GENERAL

1- Durant l'ensemble de votre carrière, vous avez couvert un grand nombre d'affaires criminelles. Quelles sont celles qui vous ont le plus passionné et pour quelles raisons?

La majorité des affaires criminelles que j'ai "couvert" pour Paris Match, de 1972 à 2006, m'ont passionné. D'autres, par leur mystère, m'ont motivé particulièrement.

Je me suis acharné sur certaines affaires comme l'affaire de Bruay, l'affaire Patrick Henry, l'affaire Ranucci, l'affaire Grégory, l'affaire Omar-Marchal, et aussi celles des prédateurs, comme Dutroux en Belgique, Emile Louis à Auxerre et Michel Fourniret, le tueur des Ardennes.

D'autres, plus anciennes, comme l'affaire Jacques Mesrine (qui m'avait proposé d'être témoin à son mariage avec sa jolie Québécoise) mais l'actualité a été plus rapide avec son évasion spectaculaire de la prison de la Santé, avec son complice Georges Besse, désormais en cavale.

Ma longue enquête sur la peine Capitale et les bourreaux.les personnages discrets qui cultivaient le mystère et la fierté de leur charge; je les ai traqués et je les ai fait avouer.
J'ai photographié la guillotine qu'on ne voyait plus depuis la dernière exécution publique de Weidman en 1939 en exclusivité. C'est grâce à Robert Badinter qui entendait ainsi me récompenser de l'avoir suivi et photographié au cours de ses sept procès de la peine de mort, et ce, malgré l'interdiction de faire des photos dans les Cour d'Assises. C'était un scoop, chaque fois dans Paris-Match. Un record journalistique.
J'ai donc publié deux livres, "les derniers bourreaux" en 1984, et le "carnet noir du bourreau" en 1989 (mémoires d'André Obrecht-321 exécutions). Sa dernière exécution fut celle de Christian Ranucci en 1976.

J'ai creusé aussi, sur un grand nombre de disparitions d'enfants, d'adolescentes ou de jeunes femmes disparues ou assassinées dans l'hexagone, en Belgique, Allemagne et en Hollande. Des suicides dramatiques troublants et mêmes criminels.

Je me suis investi plus tard sur l'affaire Yann Piat et l'affaire Bérégovoy.
Mon scoop, en 1997 à Nevers, au 4eme anniversaire de sa disparition. Celui d'être le seul journaliste à avoir retrouvé cette jeune femme, infirmière, qui, le jour du drame, se promenait avec son enfant et son mari sur la berge du canal et a apporté les premiers secours à l'ex premier ministre agonisant.
J'ai eu le sentiment d'écrire une page d'histoire et d'humanité dans le numéro de Paris Match concerné.Ce n'était pas du voyeurisme, mais du respect pour un homme dépressif et déshonoré par des "charognards" selon les termes employés par Mitterand.
D'ailleurs, mardi 8 novembre 2011, France 3 a rediffusé un sujet sur le mystère Bérégovoy, documentaire auquel j'ai participé lors de son tournage à Nevers en 2008, en y apportant mon témoignage sur cette infirmière secrète et courageuse, mais que la justice avait conseillé au silence!

Les envieux, les jaloux, et les détracteurs parmi mes confrères, sont légions à tremper leur plume dans le cyanure pour critiquer et démolir.Ce sont rarement des journalistes de terrain qui sont rivés à leur fauteuil et leur téléphone. Le plus souvent leur scoop est un dossier brûlant qu'une personne bien intentionnée a déposé sur leur bureau.

Dans les affaires criminelles célèbres pour lesquelles je me suis investi, j'ai quelquefois été critiqué et mes propos souvent déformés.

Dans le téléfilm diffusé sur France 3, retraçant l'affaire Grégory, c'est un comble, un acteur jouant mon rôle, personnage à catogan, fou furieux et sans scrupules, obsédé. Le pire c'est que je n'ai jamais été contacté comme consultant, comme c'est la règle de bonne conduite mais généralement bafouée.
Il faut saisir les tribunaux avec ses avocats et cela coûte très cher, face à la mauvaise foi des sociétés de production (je reviendrai plus tard sur ma plainte pour plagiat en 2008 contre TF1 et GMT Production concernant la contrefaçon de mon livre "le fou de Bruay", procédure actuellement en Cour d'Appel pour être rejugée en 2012).


J'ai connu aussi les sectes criminelles comme celles du temple solaire. Des gourous, guérisseurs, magnétiseurs, médiums et autres voyants. Cet univers de la parapsychologie m'a troublé, y cherchant toujours un signe matérialiste et une explication rationnelle.

En réalité, mes efforts et mes préférences se portent sur les grandes affaires non élucidées, à cause du mystère qui les entourent et l'espoir d'apporter de nouveaux éléments et aussi le petit grain de sable qui peut éclairer ou déboucher sur une nouvelle piste, un nouveau témoignage, etc.


2- Quel regard portez vous aujourd'hui sur votre parcours journalistique? avez vous des regrets ou des satisfactions particulières?

Je n'ai que peu de regrets sur ma carrière, peut être la déception d'être passé à côté d'un scoop, mais si peu en réalité car l'échec, on s'en souvient amèrement (j'en ai quelques uns mis de côté, j'y repense!).
Mais fonceur et perfectionniste, j'ai collectionné un grand nombre de scoops durant mes 34 années passées à Paris Match, tant photos que textes et enquêtes!

A la sortie de mon livre, en avril 2006 (le fou de Bruay), Paris Match m'a consacré une page, me résumant ainsi: Jean Ker est le plus acharné des reporters de Paris Match.

A Paris Match, j'ai le sentiment d'avoir donné le meilleur de moi-même, exprimé et transmis mes émotions tant sur les photos que dans mes enquêtes.
Regrets, certes, de n'avoir pas pris le temps pour écrire d'autres livres documents.
J'ai beaucoup d'archives et j'ai en mémoire des éléments d'analyses sur certaines affaires non élucidées qui pourraient même tardivement apporter soit une hypothèse de travail, soit des témoignages inédits, soit de nouvelles pistes.

Je n'ai pas toujours eu la place pour écrire dans Match, les récits détaillés de mes trouvailles dans mes enquêtes, mais il fallait souvent calibrer un double page texte, entre 8 et 12 feuillets 21*27.
Mais j'ai souvent été gâté, et multiplié le nombre de pages texte et photos de 4,6,8 et 10 en scoop. Et même avec des photos en couverture.

Un journaliste Américain du Chicago Tribune, "fan" de mes enquêtes, que j'avais rencontré au cours d'un reportage, m'avait confirmé "aux USA, avec tes enquêtes d'investigation et ton talent à décrire en détails, tu n'aurais pas fait une double page de texte pour t'exprimer, mais des pages entières pour t'exprimer et passionner, mais des pages entières pour t'exprimer et passionner tes lecteurs?"
Ce confrère était devenu lui-même un de mes fidèles lecteurs.


3- Comment définiriez vous votre rôle de journaliste ? journaliste à sensation ou d'investigation?

Je me désigne comme Reporter de terrain, journaliste d'investigation. 

Cela désigne une double mission: la passion du métier et la crédibilité...





 

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