Entretien: Jean KER
Dernière mise à jour:  10 janvier 2012

 

 

                                 

           QUESTIONNAIRE D'ORDRE GENERAL (suite)

4- Comment pourriez vous décrire de manière générale votre méthode de travail ?  Préférez vous, de prime abord, lire tout ce qui s'est publié ou écrit sur une affaire pour vous faire votre idée et l'exploiter ensuite, ou bien préférez-vous, d'entrée de jeu, vous laisser guider par votre instinct, vos rencontres ?

Sur une affaire en cours, je lisais très peu en fait. Quelques quotidiens régionaux parûs, ne gardant qu'un minimum d'infos pour ne pas être influencé.
J'ai souvent fonctionné au feeling et je partais souvent sur une piste qui m'arrivait comme un coup de flash, ou comme le flair d'un chien de piste.


Je ne harcelais pas les personnages, ni les témoins, je les respectais. Je ne m'adressais pas à eux en disant « je ne sais rien, dites moi tout ! » Non, je rassurais, j'évoquais et je confrontais mes informations.
Cela m'a valu des entretiens exclusifs avec des magistrats instructeurs, prudents, ouverts, devenant souvent passionnés par mes propos, et congédiant même leur greffier, m'écoutant, en oubliaient la présence de l'horloge.
Mêmes phénomènes avec des Colonels ou des Commandants de gendarmerie, directeurs d'enquête. On m'a rapporté qu' à l'état major Gendarmerie à Paris, on évoquait ma présence sur les affaires criminelles, en citant mon talent d'enquêteur. J'en étais assez fier. Je l'avoue.


Le Colonel de la SR de Paris, au cours de l'affaire Emile Louis, étonné de mes scoops et révélations sur l'affaire, m'a invité et offert un vin d'honneur.

Il voulait connaître mes méthodes d'investigation...
Je me suis ainsi retrouvé au centre de gendarmerie de Rosny sous bois, invité lors d'un déjeuner à la table des officiers de gendarmerie.
Nous étions au dessert et on nous servait le café.

Soudain, le Général m'a fixé droit dans les yeux et s'est exclamé :
« Jean Ker, parlez nous de l'affaire Grégory. » Ils n'ont pas été déçus...j'ai été bavard ! Quel auditoire !

Chaque fois, Je faisais la synthèse à charge et à décharge en valorisant mes éléments d'enquête exclusifs comme Paris Match l'a toujours fait. C'est une technique de récit et non pas de racolage.

D'autres affaires criminelles m'ont passionné: l'affaire Yann Piat que j'ai couvert en rapportant un scoop.
En effet, j'ai été le seul à interviewer son chauffeur blessé, et placé en centre de rééducation dans les Landes. Jj'ai reçu du courrier de lecteurs me félicitant en ces termes:" nous étions avec vous tout au long du récit dans la voiture de Yanne Piat avec son chauffeur, minute par minute .C'était un récit bouleversant."

Au 10 eme anniversaire du décès du Général de Gaulle, en novembre 1980, j' avais battu un record de pages dans Paris Match en recevant les confidences d' Honorine et Charlotte, les fidèles employées de la « Boisserie ».
Claude Mauriac, écrivain et proche du général, présent le soir du bouclage à MATCH, m'avait confié : "quel récit! j'aurais tant voulu être à votre place !"

Il a tant de sujets sur lesquels je pourrais revenir...

5- Dans le cadre de vos travaux, vous avez été parfois le témoin direct de certains protagonistes pour certaines affaires (cas des parents Dewevre pour l'affaire de Bruay en Artois ou de JM et C. Villemin pour l'affaire Grégory). Certaines relations amicales se sont parfois nouées entre vous et certaines de ces personnes.
Selon vous, était-ce une sorte de passage obligé afin de mieux comprendre les affaires et les couvrir (côté sensation) ou bien ce n'est qu'une conséquence des liens que vous avez tissé naturellement au fil des affaires ?

Pour comprendre les gens, il faut une dose d'humanisme et tisser une sorte de comprehension naturelle, favorisant l'empathie. C'est dans cet état d'esprit que je me trouvais quand j'employais ma logique d'enquête: analyser, simplifier et progresser en apportant des éléments humains quelquefois en avance sur les enquêteurs ( policiers et gendarmes).

Tout ce climat ne pouvait que favoriser un climat de confiance avec les familles de victimes ou de meurtriers.
Il n'y avait de ma part, ni jeu ni compromission. La richesse de la vérité exclusivement.


6- Au fil des différentes affaires dont vous avez pu suivre le déroulement, vous avez sans doute pu prendre conscience d'un problème de dysfonctionnement de la justice, parfois en termes de déroulement d'enquêtes, d'exécution des peines ou tout simplement en matière d'erreur judiciaire.
Personnellement, et si vous en aviez la possibilité, quelle(s) réforme(s) proposeriez vous de mettre en application afin de palier à certains dysfonctionnements ?

Il y a toujours eu une faiblesse dans le manque d'expérience de certains magistrats qui ont conduit des affaires à la faillite ou plus grave encore à l'erreur judiciaire..

La concertation et le collège de magistrats instructeurs est préférable à l'autorité d'un seul juge.
Dans de grandes affaires criminelles, la trop forte pression médiatique peut influencer l'instruction et même orienter et précipiter l'obtention de résultats.

De là, manque de vérifications propice à l'enlisement ou à l'erreur judiciaire.
Je parle en conséquence de causes : Notamment l'affaire Grégory et l'affaire OMAR, et bien d'autres encore...


7- Que pensez vous de certaines réformes telles que les garde à vue filmées, la suppression des juges d'instruction, l'appel des jugements de cour d'assises ?

Le parquet ne pourra jamais être indépendant puisque nommé par l'éxécutif pour instruire à charge plutôt qu' à décharge. 

La garde à vue filmée est indispensable pour la bonne marche de l'interrogatoire. En effet, j'ai vu et entendu au cours de garde à vue certaines méthodes grossières et d'intimidation, des pressions et signatures de PV. Extorquées.
Tandis que l'emploi douteux de certains personnages n'étaient même pas vérifiés, ou des interrogatoires trop courts avec un manque de précision flagrant.
C'était lamentable ! 

En lisant plus tard certains PV., je me disais que l'enquêteur n'avait pas posé à l'interlocuteur les bonnes questions. Très souvent, quand un enquêteur, ou un magistrat me disaient " vous auriez fait un bon flic !" je répliquais: 

"Ah non, je préfère être à ma place et rester libre et enquêter en journaliste solitaire". C'est ma vocation.

 

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